Les dossiers de Chrysallis

EXECUTION DE LA DECISION JUDICIAIRE – PLACEMENT DES FONDS – INDEMNISATION DE L’ADMINISTRATEUR AD HOC

 

VALENCE 4 OCTOBRE 2002

 

 

 

La fin du mandat de l’administrateur est une phase importante et délicate pour l’administrateur ad hoc. Il devra effectuer plusieurs démarches. Certaines concernent l’enfant pour lequel il a été désigné, à savoir exécuter si nécessaire la décision rendue par la juridiction - civile ou pénale - et placer les fonds alloués à l’enfant. D’autres le concernent plus particulièrement puisqu’il a obligation en fin de mandat d’établir un rapport parallèlement à sa demande d’indemnisation.

 

 

1°) Exécution de la décision judiciaire

 

Ce premier point suscite une interrogation : l’exécution de la décision judiciaire entre-t-elle dans la mission dévolue à l’administrateur ad hoc ? Certains pensent que non, le mandat se terminant au prononcé du jugement. D’autres dont je fais partie, estiment au contraire, qu’elle fait partie intégrante de notre mission et ce, d’autant plus que nous devons précisé dans notre rapport de fin de mission les formalités accomplies en vue du placement des dommages-intérêts (décret du 16 septembre 1999)

De plus, l’action civile est une action en réparation d’un dommage qui se concrétise par une demande tendant à l’obtention de dommages-intérêts au nom de la victime.

 

Lorsque des dommages-intérêts sont alloués à un mineur, plusieurs possibilités s’offrent à nous pour faire exécuter la décision :

-         le paiement spontané en une ou plusieurs fois : situation rare

-         le paiement forcé par vois d’huissier en une ou plusieurs fois : là, nous pouvons nous heurter à l’insolvabilité du débiteur

-         le paiement par le régisseur d’un centre de détention effectué sur le pécule de la personne condamnée à une peine de prison : là, les montants étant assez modiques, l’indemnisation intégrale de la victime peut nécessiter de nombreuses années

-         le paiement par la Commission d’Indemnisation des Victimes (CIVI) dont la mission est de permettre aux victimes de certains faits dommageables d’être indemnisées grâce à une procédure simple et relativement rapide.

 

Dans le cadre de notre mission d’administrateur ad hoc, nous sommes régulièrement amenés à saisir la CIVI car pour le mineur victime d’agressions sexuelles ou de violences, cette commission est souvent le seul moyen que nous avons pour obtenir la réparation du préjudice qu’il a subi, notamment en cas de décès de la personne mise en examen ou condamnée.

 

La CIVI a le caractère d’une juridiction civile. Elle est composée de deux magistrats du siège du TGI et d’une personne « s’étant signalée par l’intérêt qu’elle porte aux victimes ».

C’est une juridiction autonome qui se prononce librement quant à l’évaluation du dommage. Elle n’est donc pas tenue par les évaluations faites par d’autres juridictions, par exemple la cour d’assises.

 

Il existe deux régimes d’indemnisation devant la CIVI qui sont fonction du dommage subi par la victime :

-         l’un qui couvre les atteintes aux personnes les plus graves (meurtre, agressions sexuelles…). Ce régime ouvre droit à une réparation quasi-automatique du préjudice.

-         l’autre qui concerne à la fois les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes de moindre gravité. Ce régime est soumis à des conditions plus restrictives. En pratique, nombre de décisions rendues par un tribunal correctionnel pour violences volontaires (coups, brûlures…) n’ont pu être exécutées à ce jour.

 

La saisine de la CIVI par l’administrateur ad hoc pose une question de fond : désigné initialement par un juge pénal, a-t-il pouvoir de saisir directement la CIVI ou doit-il se munir d’un autre mandat auprès du juge des tutelles ?

Les avis sont partagés. En tant que juriste, j’estime que nous n’avons pas à solliciter un nouveau mandat auprès du juge des tutelles pour les raisons suivantes : en raison de la nature de l’action civile ; la saisine de la CIVI n’est qu’une des modalités pratiques pour faire exécuter une décision de justice.

Dans le département de l’Isère, une seule juridiction invoque le défaut de pouvoir en l’absence de toute nouvelle désignation par le juge des tutelles. Il s’ensuit que nous devons nous adapter aux exigences des magistrats pour mener à bien notre mission.

Chrysallis a pris la décision de solliciter systématiquement le juge des tutelles avant de saisir la CIVI afin d’harmoniser nos pratiques et dans la mesure où nous serons obligés par la suite de le saisir pour le placement des fonds que nous aurons obtenus pour l’enfant.

 

 

2°) Placement des fonds

 

Il est important de souligner au préalable que toute désignation d’administrateur ad hoc, non frappée d’appel et non réformée, a pour conséquence de substituer ce représentant judiciaire aux représentants légaux. Mais il ne s’agit là que d’une substitution partielle et limitée dans l’exercice d’un de leurs droits.

En d’autres termes, négativement, l’administration « ad hoc » n’équivaut pas à une déchéance des droits parentaux ; positivement, il s’agit d’une substitution de représentant limitée quant à son domaine et dans le temps.

Ces éléments de définition sont lourds de conséquences tant sur le plan juridique que pratique, en ce sens qu’on touche seulement à l’exercice ponctuel d’un droit sans remettre en cause le droit lui-même, ni le pouvoir général d’administration des biens.

Il s’ensuit que les parents demeurent administrateurs légaux des biens de leur enfant et en ont la jouissance légale, s’ils n’ont pas été déchus de leurs droits parentaux.

 

L’administrateur ad hoc se doit d’agir dans l’intérêt de l’enfant qu’il représente et ce, en toutes occasions et notamment lorsqu’il reçoit des fonds. Aussi, une pratique généralisée des juges des tutelles est d’autoriser l’administrateur ad hoc à placer les dommages-intérêts alloués à l’enfant sur un compte ouvert à son nom et bloqués jusqu’à sa majorité et cela, au regard des articles 382 et suivants du Code civil qui confèrent aux parents la jouissance des biens de leur enfant jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 16 ans. Une position dissidente a été de répondre que désigner par un juge pénal et n’ayant pas de dossier ouvert au nom de l’enfant, il m’était expressément dit d’envoyer le chèque au représentant légal qui, en l’occurrence était l’auteur des violences et le débiteur de la créance.

 

Par ailleurs, du point de vue de l’administrateur ad hoc, cette pratique est conseillée, s’il ne veut pas voir sa responsabilité engagée par l’enfant, une fois devenu majeur, si les fonds ont été dilapidés par ses parents.

Il suffit de constater que nombre d’entre nous sont désignés en qualité d’administrateur ad hoc pour recouvrer des sommes indûment soustraites par les parents.

Dans un cas d’espèce, une mère m’a adressé un certificat du juge des tutelles qui mentionnait qu’en sa qualité d’administratrice légale sous contrôle judiciaire des biens de son enfant, elle pouvait en cette qualité et sans justifier d’aucune autorisation recevoir les fonds dus à son enfant. Aussi, me demandait-elle au vu de ce certificat de lui faire parvenir le montant des dommages-intérêts que j’avais perçu pour son fils, ce que je fis par l’intermédiaire du juge des tutelles. Sa déception fut grande et sa colère envers nous autant, lorsqu’elle a voulu utiliser, sans succès parce que bloqués, ces fonds pour l’achat d’un salon.

 

Certains magistrats auditionnent les parents pour connaître leur position à ce sujet. Une position dissidente est de demander à l’administrateur ad hoc d’établir, voire même d’alléguer une incapacité quelconque de l’administrateur légal à placer et à gérer les fonds revenant au mineur.

Question : est-ce de la compétence de l’administrateur ad hoc de porter un jugement sur la capacité des parents à administrer le patrimoine de leur enfant ? En cas d’évaluation négative, ne risque-t-il pas de se voir poursuivi en diffamation par les parents ?

En l’espèce, refusant de faire droit à de telles demandes, il est statué à nos requêtes par un rejet pour défaut de qualité et nous sommes invités à remettre les fonds en cause à l’administrateur légal.

 

Parfois, l’intérêt de l’enfant ne justifie pas un tel placement des fonds, notamment lorsqu’il a besoin de suivre une thérapie.

Mais en aucun cas, l’administrateur ad hoc ou son avocat ne doit adresser au mineur les dommages et intérêts qui lui ont été alloués.

 

Je conclurais ce point par cette remarque : nous n’avons aucune vocation légale à gérer cette indemnité. Notre mandat s’arrête au placement des fonds. Or, il est parfois demandé aux administrateurs ad hoc, non seulement de procéder au placement des fonds mais également de veiller à la bonne gestion de l’indemnité.

 

 

3°) L’indemnisation de l’administrateur ad hoc

 

Si la justice est rendue gratuitement, les moyens de l’obtenir ne sont pas gratuits. L’administrateur ad hoc devra engager des frais pour exercer son mandat. Ils peuvent être conséquents en raison de la nature des procédures et de leur longueur. Jusqu’au décret du 16 septembre 1999, il n’existait aucun texte particulier prévoyant l’indemnisation de l’administrateur ad hoc. Plusieurs pistes ont été explorées reposant sur des textes généraux ou des règles spéciales mais aucun d’eux n’étant adapté à ce système, c’était par une interprétation parfois très large qu’ils étaient appliqués. Il va sans dire qu’un tel tour de force était synonyme de fragilité, pouvant être remis en cause à tout moment.

 

Selon le décret du 16 septembre 1999, les dépenses engagées par l’administrateur ad hoc, désigné sur le fondement de l’article 706-50 CPP, entrent dans la catégorie des frais de justice (art. R 92 CPP). Elles sont à la charge de l’Etat.

Par contre, celles engagées par l’administrateur ad hoc, désigné sur le fondement des textes civilistes (art 389-3 et 388-2 C. civ.), sont à la charge, soit de la partie condamnée aux dépens, soit de la partie indiquée par le juge qui a désigné l’administrateur ad hoc (assimilées aux frais de justice pénale).

Il s’ensuit que l’administrateur ad hoc a obligation dans la 1ère situation de transmettre au juge qui l’a désigné, un rapport de fin de mission dans lequel sont détaillées les démarches accomplies. Il s’agit d’un contrôle a posteriori de la manière dont a été exercé le mandat.

 

Cette indemnité est forfaitaire quel que soit le montant des frais exposés par l’administrateur ad hoc. Ce dernier n’a donc pas à le chiffrer précisément lorsqu’il fait sa demande d’indemnisation. De même, les magistrats ne peuvent le majorer ou le minorer.

 

Le barème selon l’art. R 216 CPP est le suivant :

-         désignation par le procureur de la République dans le cadre d’une enquête préliminaire uniquement ou pour intervenir devant le tribunal correctionnel saisi sur citation directe = 1.500 F, soit 228,67 €

-         désignation par la juridiction de jugement pour représenter un enfant durant la phase de jugement, voies d’appel comprises = 1.000 F, soit 152,45 €

-         lorsque les frais (plutôt faits) ont donné lieu à l’ouverture d’une information devant le juge d’instruction = 2.500 F, soit 381,12 €.

 

En cas de plusieurs enfants d’une même fratrie, l’indemnité est réduite de 50 % pour chaque enfant à partir du 2ème.

 

Si les 2 premiers points sont clairs, règne une ambiguïté à propos du dernier. Le texte ne fait pas référence à la qualité du magistrat. On peut avancer l’idée que la désignation peut émaner aussi bien du procureur de la République que du juge d’instruction. Mais peut-on aller jusqu’à inclure la phase de jugement dans la mesure où il est fait référence à une phase du procès pénal, à savoir l’instruction ? Quid alors de la phase de jugement ?

 

Est-il normal, équitable, que l’administrateur ad hoc perçoive la même indemnisation lorsque son mandat se limite à la phase d’instruction uniquement et lorsqu’il se prolonge par la phase de jugement, voire de la phase d’appel, notamment après appel d’un arrêt de condamnation rendu par la cour d’assises où là, il doit se rendre dans un autre département.

 

Cette indemnité a vocation à couvrir l’ensemble des frais exposés pour la défense des intérêts du mineur. Or, le constat est le suivant : le financement des mandats judiciaires est insuffisant au regard de la durée des mandats et de la multiplicité de nos interventions. Aux frais de déplacement et de secrétariat, il faut inclure les frais de formation et de supervision.

Aucune autre indemnité ne pouvant être allouée à l’administrateur ad hoc par l’Etat, il lui reste la possibilité de demander lors de l’audience, une indemnité complémentaire au titre des frais irrépétibles (art. 700 NCPC, art. 375 et 475-1 CPP), qui sera à la charge de la partie condamnée aux dépens ou à défaut, la partie perdante. En ce cas, il faut compter avec le pouvoir d’appréciation de la juridiction pour vous l’accorder ou la refuser, au nom de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Certains administrateurs ad hoc obtiennent le remboursement de leurs frais de déplacement en plus de l’indemnité forfaitaire.

 

Cette interprétation restrictive peut avoir un effet pervers et se révéler contraire aux intérêts de l’enfant. En effet, le risque est que l’administrateur ad hoc n’use pas des voies de recours qui lui sont offertes.

Une autre conséquence est que certaines structures, comme Chrysallis, ne peuvent faire appel qu’à des bénévoles pour exercer les mandats.

 

On ne peut dès lors, que regretter que le gouvernement n’ait pas pris comme base de référence, les phases du procès : enquête préliminaire, instruction, jugement, appel, cassation, à l’instar de ce qui existe pour les avocats.

 

Au regard d’autres mesures, le montant de l’indemnisation de l’administrateur ad hoc est dérisoire.

Par exemple, une enquête sociale d’une durée de 3 mois, ordonnée par un juge aux affaires familiales est rémunérée en moyenne 800 € pour une intervention d’environ 25/30 heures. A ce forfait s’ajoutent les frais de déplacement.

Autre exemple, une mesure de réparation pénale d’une durée de 4 mois est payée en moyenne 650 €. Les frais de déplacement sont compris dans ce forfait. Elle comprend 3 à 5 interventions d’un travailleur social en moyenne.

Enfin, une mesure d’investigation et d’orientation éducative, d’une durée de 6 mois est payée en moyenne 2.600 € sous la forme de prix de journée. Les frais de déplacement sont inclus dans le montant du prix de journée. Elle comprend une dizaine d’interventions d’un travailleur social, une rencontre avec un médecin psychiatre et 2 rencontres avec un psychologue en moyenne (données transmises par Marcel Bousson, ADDSEA Doubs).

 

Une demande de provision est prévue à l’art. R 216-1 CPP

Plusieurs conditions doivent être réunies pour solliciter une provision auprès du juge d’instruction :

-         nécessité d’une information judiciaire

-         de la compétence exclusive du juge d’instruction

-         l’administrateur ad hoc doit la demander

-         délai minimum de 6 mois après sa désignation

-         obligation de transmettre un rapport récapitulant les démarches effectuées et les formalités accomplies

-         montant maximum = 1.500 F, soit 228,67 €.

 

Lorsque l’administrateur ad hoc est désigné sur le fondement des textes civilistes, l’indemnité forfaitaire est de 1.000 F, soit 152,45 €.

 

Il est coutume de dire que le processus judiciaire constitue un véritable parcours du combattant pour la victime. Ce fût le cas pendant une dizaine d’années pour les administrateurs ad hoc non salariés d’une structure, pour obtenir l’indemnisation de leurs frais. Mais force est de constater que malgré le décret du 16 septembre 1999, nombre d’entre nous restent des mendiants impénitents.

Des moyens financiers considérables sont donnés pour permettre à des couples stériles d’avoir « à tout prix » des enfants. Ne pourrait-on pas donner les mêmes moyens aux enfants déjà nés pour leur assurer l’exercice effectif de leurs droits.

 

 

 

Bibliographie

 

* Marc Kowalski : La Commission d’indemnisation des victimes d’infractions. JDJ n° 207, septembre 2001.

* Catherine Bonnet : Ces femmes dans l’ombre. Abandon et adoption. Liens du sang, liens d’amour. Coll. Autrement, n° 96, février 1988.

* Geneviève Favre-Lanfray : La représentation « ad hoc » de l’enfant. Thèse doctorat en droit, septembre 2000, éd. Presses Universitaires du Septentrion.

* Myriam Quémener, Ministère de la Justice : Guide méthodologique destiné aux administrateurs ad hoc.