LA NATURE DU MANDAT DE LADMINISTRATEUR AD HOC : FONCTION JURIDIQUE ET/OU D ACCOMPAGNEMENT
Le thème de lintervention est : « La nature du mandat de ladministrateur ad hoc : fonction juridique et/ou daccompagnement ». Lintitulé ne vous a pas échappé : il sagit bien dune affirmation, non dune interrogation. Cest la position que je vais défendre en ma double qualité, de juriste mais également de praticienne exerçant des mandats dadministrateur ad hoc depuis 11 ans, ce qui revient à analyser la lettre et lesprit des textes relatifs à ladministration « ad hoc ».
Le juriste a dit-on, la réputation dêtre précis dans ses propos. Il est ce que certains appellent un « maniaque du mot juste ». De plus, il ne peut sempêcher danalyser chaque mot, chaque concept, chaque idée émise par la doctrine ou par la jurisprudence. Il y a des sujets qui sont plus enclins que dautres à susciter une polémique, voire qui lexigent. Tel est le cas lorsquon aborde la représentation « ad hoc » du mineur. Tenter de définir le plus précisément sa nature est un travail essentiel afin de lever les ambiguïtés et comprendre les difficultés que rencontrent en pratique les administrateurs ad hoc. On ne peut faire abstraction de cet exercice, difficile au demeurant.
La représentation « ad hoc » de lenfant consiste en une substitution de représentant. En dautres termes, un magistrat prend la décision de désigner un tiers en qualité dadministrateur ad hoc, en remplacement des représentants légaux de lenfant. Mais cette technique juridique constitue la partie émergée de liceberg car en fait, une telle décision se trouve à linterface de deux notions, le droit et lhumain. Et cela est particulièrement vrai lorsque ladministrateur ad hoc représente un enfant victime dune infraction sexuelle. Il sensuit que le mandat de ladministrateur ad hoc présente une double nature : juridique de par la nature de la représentation mais également, voire exclusivement daccompagnement en matière pénale.
I - TRADITIONNELLEMENT :
UNE MISSION PUREMENT JURIDIQUE
La représentation du mineur, quelle soit légale ou judiciaire, renvoie à son incapacité dexercice à laquelle elle supplée. Les parents sont de par les textes, les représentants naturels de leur enfant. Cette fonction leur revient de droit. Mais parfois, ils ne peuvent ou ne veulent pas lexercer. En ce cas, les magistrats ont la possibilité de leur substituer un représentant, ladministrateur ad hoc.
Les textes relatifs à la représentation sont laconiques : ils parlent de représenter le mineur dans une procédure ou lors dun acte civil. Etymologiquement, représenter signifie « rendre présent, être devant, mettre devant les yeux ou devant lesprit de quelquun », et par extension « montrer ». Mais quel est lobjet de la représentation : la personne de lenfant, son intérêt, sa volonté, sa parole, un de ces éléments pris isolément ou plusieurs simultanément ?
Si cest le mineur en tant que personne humaine fait de chair et de sang dont il sagit, cela revient à retenir sa substitution physique. Elle lest nécessairement pour les très jeunes enfants. Mais quen est-il pour les autres ?
Par référence à la représentation par voie davocat qui remplace physiquement son client, on pourrait retenir lidée que le mineur na pas à figurer en personne sur la scène juridique, au nom de sa protection, le procès étant généralement un harcèlement démotions.
Toutefois, sa présence ne peut pas toujours être exclue, notamment lors de procédures pénales : audition, confrontation, expertise médico-psychologique. Là, on ne peut plus parler de représentation mais dassistance.
En pratique, la question se pose pour laudience pénale. Lorsque le mineur exprime le souhait dy assister, son représentant devra rechercher ses motivations afin quil ne soit pas utilisé par la partie adverse. Cela vérifié, la présence de lenfant victime peut savérer indispensable pour deux raisons : dune part, le besoin dentendre du juge les limites fixées par la loi et quil nest en rien coupable ; dautre part, son témoignage à la cour dassises peut savérer important, de par loralité de la procédure.
Au-delà de cette substitution physique, une volonté est exprimée qui se concrétise en une demande, une position par rapport au litige en cours ou à un acte déterminé. Qui a cette faculté de vouloir, de décider quelque chose : le mineur non émancipé ou son représentant ?
Lorsquon est en présence dune représentation de nature conventionnelle, on peut affirmer sans risquer dêtre contredit que cest la volonté du représenté qui est exprimée, voire qui préside à tout moment. Le titulaire du droit a la faculté de recourir ou non à ce mode daction. Chaque fois que sa présence nest pas obligatoire, sil décide de ne pas figurer en personne à laudience et par conséquent de se faire remplacer, non seulement il peut choisir son représentant, en changer éventuellement, mais également il lui donne ses instructions. Le représentant devra exprimer la volonté de la personne quil représente. Il devra même la respecter sil ne veut pas voir engager sa responsabilité professionnelle. Cette représentation de nature conventionnelle savère être en fin de compte une simple substitution physique.
Il en va tout autrement lorsquil sagit dune représentation légale ou judiciaire que peut connaître tout enfant durant sa minorité. Titulaire du droit, il na pas le choix du moyen daction. Le recours au mécanisme de représentation est le seul moyen juridique dont il dispose pour exercer ses droits. Contrairement à la situation précédente, les modalités pratiques ne seront pas les mêmes. En effet, le choix de son représentant comme les décisions lui échappent totalement. Son représentant est, soit désigné par la loi en fonction de sa situation personnelle (administrateur légal, tuteur), soit choisi par le juge (administrateur ad hoc).De plus, le représentant légal ou judiciaire du mineur non émancipé est investi du pouvoir dinitiative et de direction. Avec ce mode daction qui confère le pouvoir décisionnel au représentant, la volonté de lenfant se trouve de ce fait complètement occultée. Il ne sagit plus seulement dune substitution physique, mais dune substitution de volonté.
Action en remplacement dautrui, la représentation suppose laccomplissement dun acte juridique ou dune action par une personne qui nintervient pas en son propre nom mais au nom dautrui, qui nagit pas pour son compte mais pour le compte dautrui. Cette définition met laccent sur le rôle essentiel du représentant qui agit par substitution, qui par la volonté exprimée, va engager la personne quil remplace. Les effets de lacte ne sont pas supportés par celui qui agit, le représentant, mais par celui au nom duquel on agit, le représenté.
Dans ce contexte, ladministrateur ad hoc agit au nom et pour le compte du mineur avec cette particularité que ce dernier német pas lui-même son propre choix ou la volonté qui forme lacte juridique. Bien que personne juridique, le mineur disparaît derrière lécran de la représentation. Cette idée se retrouve avec force dans la définition originaire du mot « personne », qui désigne « le masque des acteurs ».
Cela dit, la représentation, moyen juridique pour pallier lincapacité dexercice et conçue dans lintérêt de lincapable, ne doit pas se révéler violente dans sa mise en uvre. Représenter un mineur, cest comme on vient de le voir, prendre sa place sur la scène juridique. Faut-il alors lexclure de toutes les décisions importantes qui le concernent ? Dans la mesure où cest lui qui supportera les conséquences de la décision judiciaire, nest-ce pas en ce cas, une autre forme de violence que de le maintenir dans un état dincapacité, cest-à-dire décider sans lui, contre lui ou pour lui, au nom de ses intérêts ? Que dire de ces administrateurs ad hoc qui prennent des décisions sans avoir rencontré lenfant et qui lexcluent de la procédure ? Pour eux, la justice est une affaire dadultes où les enfants nont pas leur place. Or, ces enfants, nayant pu exprimer leur sentiment, nayant pas été informés, se sentent dépossédés de leur affaire. Cette pratique nest pas à préconiser car on risque de rejouer le même scénario familial, à savoir substituer un autre abus de pouvoir, dautorité au premier. Elle crée ce que lon appelle une « victimation secondaire » ou une « surviolence » entraînant des conséquences psychologiques néfastes pour lenfant.
Aussi, suis-je favorable à une autre conception plus large mais aussi plus humaniste du mandat qui consiste à respecter lenfant. Dans les faits, cela consiste à entrer en communication avec lui, lécouter et lui restituer les enjeux des décisions prises pour lui. Cette conception exclut toute généralisation, toute règle préétablie. Cela suppose une étude très précise et complète de la situation avant toute prise de décision.
En cas de divergence entre la parole exprimée par lenfant et la position arrêtée par son représentant, il est important que ladministrateur ad hoc demande à lavocat dexprimer ces deux positions à laudience.
En définitive, quil sagisse de représenter de manière générale un enfant à loccasion dun acte civil ou dun procès civil ou pénal -, il sagit sans conteste dune fonction juridique dévolue à ladministrateur ad hoc.
Mais la représentation du mineur incapable présente un caractère particulier, notamment lorsquil sagit dune procédure pénale.
II - UNE MISSION A
La loi du 10 juillet 1989 relative à la
maltraitance et à la protection de lenfant a complètement
modifié le rôle dévolu traditionnellement à ladministrateur
ad hoc. Très vite, sest instaurée une certaine polémique
autour de la mission daccompagnement du mineur, victime dinceste.
Dans ce contexte, il est apparu évident pour nombre de
personnes, que la mission de ladministrateur ad hoc allait
bien au-delà de celle fixée par les textes : laction
civile. De par la qualité de la victime et de la nature de la
procédure, laspect humain sest avéré primordial et
indissociable de laspect juridique. Michel Allaix,
magistrat, lors dun entretien en janvier
Tous les professionnels confrontés aux problèmes de maltraitance intra-familiale insistent sur la fragilité et la solitude de ces enfants, les pressions et manipulations quils subissent, leur besoin dêtre écouté, accompagné et protégé. Ils souffrent fréquemment de troubles psychologiques ou psychiques qui se manifestent de diverses manières : tentatives de suicide, fugues, agressivité, instabilité, troubles du sommeil, mutisme, échec scolaire
Aussi, il est impératif quune fois désigné, ladministrateur ad hoc établisse une relation de confiance avec lenfant, linforme quil est là pour lui, dans son intérêt, pour laccompagner tout au long de la procédure. Cela suppose quil sengage avec volonté et discernement. La confiance nest jamais automatique. Elle se gagne pas à pas, au quotidien. De plus, elle comporte toujours une prise de risque. Elle exige de mettre en accord les paroles et les actes, cest-à-dire de faire ce que lon dit, et dire ce que lon fait. Elle appelle aussi la cohérence, la transparence, cest-à-dire la nécessité dexpliquer, dexposer les critères de décision. Enfin, elle suppose une bonne intégrité personnelle : savoir dire non, expliquer pourquoi, ne pas accepter les dérives, les amalgames, les solutions contraires à lintérêt de lenfant. Ainsi, ladministrateur ad hoc ne doit pas se laisser manipuler par lenfant qui peut essayer dobtenir de lui ce quil ne peut pas des autres intervenants, notamment de ses éducateurs. Il doit en ce cas, être vigilant, se positionner très clairement par rapport à la demande de lenfant, tout en lassurant que sa confiance nest pas remise en cause.
Les auditions, confrontations, expertises et procès pénal sont des temps judiciaires particulièrement forts sur le plan émotionnel. Le concours de lenfant victime à la manifestation de la vérité est nécessaire mais ces mesures prescrites sont susceptibles de raviver des souvenirs douloureux ou de provoquer de nouvelles meurtrissures en cas de dénégation ou de déclaration mensongère de lauteur présumé. Là, ladministrateur ad hoc peut jouer un rôle important daide et de soutien, car lenfant va passer successivement à des stades différents : de victime, il va devenir accusateur par sa révélation ; puis menteur lorsque les faits sont contestés ; puis de nouveau victime lorsque la contestation est forte et quil napporte pas la preuve de ce quil a subi.
A cette mission de soutien et daccompagnement, il faut adjoindre celle dinformation. Ladministrateur ad hoc doit prendre le temps dexpliquer à lenfant le rôle respectif de chaque intervenant dont le sien. Cette clarification est nécessaire afin déviter toute confusion. Ainsi, lenfant sait très bien qui fait quoi et à quelle personne sadresser en cas de demande particulière.
Sil est important de ne rien cacher à lenfant des aléas de la procédure, dêtre clair, authentique, il est également important dutiliser un langage adapté, de choisir le moment et la manière. Ladministrateur ad hoc ne doit jamais perdre de vue quil a en face de lui une personne très fragile accordant peu ou plus confiance à ladulte.
Dans ce contexte, il est essentiel que ladministrateur ad hoc soit à lécoute de la souffrance de lenfant et ne lui impose pas ses choix de façon arbitraire. Il doit laisser ses préjugés, craintes, jugements de côté et savoir quun enfant qui nest pas écouté ne parlera pas.
Quant à la question de savoir à qui, de léducateur ou de ladministrateur ad hoc, attribuer la mission daccompagner le mineur victime au cours du procès pénal, non seulement il convient de définir précisément ce terme mais également de poser la question de lopportunité de multiplier les intervenants autour de lenfant. Ce point a fait lobjet dun développement lors des 1ères assises qui se sont tenues à Grenoble en novembre 1999. Je vous renvoie donc aux actes qui ont été publiées par lassociation Chrysallis.
En matière dinceste ou dagression sexuelle, il est incontestable que la victime mineure attend plus de son administrateur ad hoc, quun rôle purement juridique. Malika que vous allez entendre cet après-midi, me la exprimé en quelques mots, écrits après un parcours long et éprouvant : « Je pense quun administrateur ad hoc doit être avant tout humain, cest-à-dire parler avec son cur et sincèrement et non sortir les phrases dun livre. Il doit avoir une confiance totale, une très bonne entente. Une bonne entente entre avocat et ad hoc simpose ». Et elle a terminé sa lettre par « il ne faut pas obligatoirement coupé les contacts une fois que laffaire est finie ».
La loi du 17 juin 1998 ainsi que le décret du 16 septembre 1999 ont confirmé dune certaine manière cette conception du mandat de ladministrateur ad hoc.
En effet, larticle 706-50 du Code
de procédure pénale qui a remplacé lancien article 87-1
de ce même Code permet désormais la désignation de ladministrateur
ad hoc par le procureur de
De plus, larticle
R 53-7 du Code de procédure pénale dispose que les parents ne
peuvent faire appel de la désignation de ladministrateur
ad hoc que devant la chambre daccusation - devenue depuis
chambre de linstruction - et devant la chambre des appels
correctionnels. Cette précision exclut toute contestation
lorsque la désignation émane du procureur de
*******
En conclusion, à la question de savoir quelle est la nature du mandat de ladministrateur ad hoc, je pense que, tantôt, sa mission est purement juridique ; tantôt elle est uniquement daccompagnement ; tantôt elle est à la fois juridique et daccompagnement. En dautres termes, lorsquil sagit dun mandat civil - acte de vente, succession, procédure dindemnisation ou procédure mettant en cause la filiation dun enfant la mission est purement juridique. Lorsquil sagit dun mandat pénal, la mission peut être à la fois juridique et daccompagnement ou exclusivement daccompagnement avec cette précision que depuis le décret de septembre 1999, les mandats civils sont devenus résiduels. En effet, les magistrats doivent en priorité choisir ladministrateur ad hoc au sein de la famille ou parmi les proches du mineur. Ce nest quà défaut quils désigneront une personne de la liste établie pour les mandats pénaux.
Il sensuit quen matière de représentation « ad hoc », de lenfant, le droit commun est devenu lexception. Ce nest pas un hasard si lon regarde lévolution de la législation en la matière. Cest pour ces enfants victimes dagressions sexuelles que ladministrateur ad hoc est sorti de lombre en 1989 et quon la doté dun début de statut dix ans plus tard.
·
bibliographie
- P. PETEL : Le contrat de mandat, coll. Connaissance du droit, éd. Dalloz, Paris 1994.
- M. STORCK : Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques, Bibliothèque de droit privé, tome CLXXII, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris 1982.
- G. FAVRE-LANFRAY : La représentation « ad hoc » de lenfant, thèse doctorat en droit, Grenoble 2000.
- J. CARBONNIER : Les personnes : personnalité, incapacités, personnes morales, coll. Thémis, Droit privé, PUF, éd. 1992.
- J. ARGELES : La convention de Bordeaux, AGEP.
- G. FAVRE-LANFRAY : Contenu et limites du mandat de ladministrateur ad hoc, actes colloque « Ladministrateur ad hoc, cet inconnu ! »novembre 1999, Grenoble.
Le thème de lintervention
est : « La nature du mandat de ladministrateur
ad hoc : fonction juridique et/ou daccompagnement ».
Lintitulé
ne vous a pas échappé : il sagit bien dune
affirmation, non dune interrogation. Cest la position
que je vais défendre en ma double qualité, de juriste mais également
de praticienne exerçant des mandats dadministrateur ad hoc
depuis 11 ans, ce qui revient à analyser la lettre et lesprit
des textes relatifs à ladministration « ad hoc ».
Le juriste a
dit-on, la réputation dêtre précis dans ses propos. Il
est ce que certains appellent un « maniaque du mot
juste ». De plus, il ne peut sempêcher danalyser
chaque mot, chaque concept, chaque idée émise par la doctrine
ou par la jurisprudence. Il y a des sujets qui sont plus enclins
que dautres à susciter une polémique, voire qui lexigent.
Tel est le cas lorsquon aborde la représentation « ad
hoc » du mineur.
Tenter de définir
le plus précisément sa nature est un travail essentiel afin de
lever les ambiguïtés et comprendre les difficultés que
rencontrent en pratique les administrateurs ad hoc. On ne peut
faire abstraction de cet exercice, difficile au demeurant.
La représentation
« ad hoc » de lenfant consiste en une
substitution de représentant. En dautres termes, un
magistrat prend la décision de désigner un tiers en qualité dadministrateur
ad hoc, en remplacement des représentants légaux de lenfant.
Mais cette technique juridique constitue la partie émergée de liceberg
car en fait, une telle décision se trouve à linterface de
deux notions, le droit et lhumain. Et cela est particulièrement
vrai lorsque ladministrateur ad hoc représente un enfant
victime dune infraction sexuelle.
Il sensuit
que le mandat de ladministrateur ad hoc présente une
double nature : juridique de par la nature de la représentation
mais également, voire exclusivement daccompagnement en
matière pénale.
I - TRADITIONNELLEMENT :
UNE MISSION PUREMENT JURIDIQUE
La représentation
du mineur, quelle soit légale ou judiciaire, renvoie à
son incapacité dexercice à laquelle elle supplée. Les
parents sont de par les textes, les représentants naturels de
leur enfant. Cette fonction leur revient de droit. Mais parfois,
ils ne peuvent ou ne veulent pas lexercer. En ce cas, les
magistrats ont la possibilité de leur substituer un représentant,
ladministrateur ad hoc.
Les textes
relatifs à la représentation sont laconiques : ils parlent
de représenter le mineur dans une procédure ou lors dun
acte civil. Etymologiquement, représenter signifie « rendre
présent, être devant, mettre devant les yeux ou devant lesprit
de quelquun », et par extension « montrer ».
Mais quel est lobjet de la représentation : la
personne de lenfant, son intérêt, sa volonté, sa parole,
un de ces éléments pris isolément ou plusieurs simultanément ?
Si cest
le mineur en tant que personne humaine fait de chair et de sang
dont il sagit, cela revient à retenir sa substitution
physique. Elle lest nécessairement pour les très jeunes
enfants. Mais quen est-il pour les autres ?
Par référence
à la représentation par voie davocat qui remplace
physiquement son client, on pourrait retenir lidée que le
mineur na pas à figurer en personne sur la scène
juridique, au nom de sa protection, le procès étant généralement
un harcèlement démotions.
Toutefois, sa
présence ne peut pas toujours être exclue, notamment lors de
procédures pénales : audition, confrontation, expertise médico-psychologique.
Là, on ne peut plus parler de représentation mais dassistance.
En pratique, la
question se pose pour laudience pénale. Lorsque le mineur
exprime le souhait dy assister, son représentant devra
rechercher ses motivations afin quil ne soit pas utilisé
par la partie adverse.
Cela vérifié,
la présence de lenfant victime peut savérer
indispensable pour deux raisons :
-
dune part, le besoin dentendre du juge les limites
fixées par la loi et quil nest en rien
coupable ;
-
dautre part, son témoignage à la cour dassises peut
savérer important, de par loralité de la procédure.
Au-delà de
cette substitution physique, une volonté est exprimée qui se
concrétise en une demande, une position par rapport au litige en
cours ou à un acte déterminé. Qui a cette faculté de vouloir,
de décider quelque chose : le mineur non émancipé ou son
représentant ?
Lorsquon
est en présence dune représentation de nature
conventionnelle, on peut affirmer sans risquer dêtre
contredit que cest la volonté du représenté qui est
exprimée, voire qui préside à tout moment. Le titulaire du
droit a la faculté de recourir ou non à ce mode daction.
Chaque fois que sa présence nest pas obligatoire, sil
décide de ne pas figurer en personne à laudience et par
conséquent de se faire remplacer, non seulement il peut choisir
son représentant, en changer éventuellement, mais également il
lui donne ses instructions. Le représentant devra exprimer la
volonté de la personne quil représente. Il devra même la
respecter sil ne veut pas voir engager sa responsabilité
professionnelle.
Cette représentation
de nature conventionnelle savère être en fin de compte
une simple substitution physique.
Il en va tout
autrement lorsquil sagit dune représentation légale
ou judiciaire que peut connaître tout enfant durant sa minorité.
Titulaire du droit, il na pas le choix du moyen daction.
Le recours au mécanisme de représentation est le seul moyen
juridique dont il dispose pour exercer ses droits. Contrairement
à la situation précédente, les modalités pratiques ne seront
pas les mêmes. En effet, le choix de son représentant comme les
décisions lui échappent totalement.
Son représentant
est :
-
soit désigné par la loi en fonction de sa situation personnelle
(administrateur légal, tuteur),
-
soit choisi par le juge (administrateur ad hoc).
De plus, le
représentant légal ou judiciaire du mineur non émancipé est
investi du pouvoir dinitiative et de direction. Avec ce
mode daction qui confère le pouvoir décisionnel au représentant,
la volonté de lenfant se trouve de ce fait complètement
occultée. Il ne sagit plus seulement dune
substitution physique, mais dune substitution de volonté.
Action en
remplacement dautrui, la représentation suppose laccomplissement
dun acte juridique ou dune action par une personne
qui nintervient pas en son propre nom mais au nom dautrui,
qui nagit pas pour son compte mais pour le compte dautrui.
Cette définition met laccent sur le rôle essentiel du
représentant qui agit par substitution, qui par la volonté
exprimée, va engager la personne quil remplace. Les effets
de lacte ne sont pas supportés par celui qui agit, le représentant,
mais par celui au nom duquel on agit, le représenté.
Dans ce
contexte, ladministrateur ad hoc agit au nom et pour le
compte du mineur avec cette particularité que ce dernier német
pas lui-même son propre choix ou la volonté qui forme lacte
juridique. Bien que personne juridique, le mineur disparaît
derrière lécran de la représentation. Cette idée se
retrouve avec force dans la définition originaire du mot « personne »,
qui désigne « le masque des acteurs ».
Cela dit, la
représentation, moyen juridique pour pallier lincapacité
dexercice et conçue dans lintérêt de lincapable,
ne doit pas se révéler violente dans sa mise en uvre.
Représenter un
mineur, cest comme on vient de le voir, prendre sa place
sur la scène juridique. Faut-il alors lexclure de toutes
les décisions importantes qui le concernent ?
Dans la mesure
où cest lui qui supportera les conséquences de la décision
judiciaire, nest-ce pas en ce cas, une autre forme de
violence que de le maintenir dans un état dincapacité, cest-à-dire
décider sans lui, contre lui ou pour lui, au nom de ses intérêts ?
Que dire de ces
administrateurs ad hoc qui prennent des décisions sans avoir
rencontré lenfant et qui lexcluent de la procédure ?
Pour eux, la justice est une affaire dadultes où les
enfants nont pas leur place.
Or, ces
enfants, nayant pu exprimer leur sentiment, nayant
pas été informés, se sentent dépossédés de leur affaire.
Cette pratique nest pas à préconiser car on risque de
rejouer le même scénario familial, à savoir substituer un
autre abus de pouvoir, dautorité au premier. Elle crée ce
que lon appelle une « victimation secondaire »
ou une « surviolence » entraînant des conséquences
psychologiques néfastes pour lenfant.
Aussi, suis-je
favorable à une autre conception plus large mais aussi plus
humaniste du mandat qui consiste à respecter lenfant. Dans
les faits, cela consiste à entrer en communication avec lui, lécouter
et lui restituer les enjeux des décisions prises pour lui. Cette
conception exclut toute généralisation, toute règle préétablie.
Cela suppose une étude très précise et complète de la
situation avant toute prise de décision.
En cas de
divergence entre la parole exprimée par lenfant et la
position arrêtée par son représentant, il est important que ladministrateur
ad hoc demande à lavocat dexprimer ces deux
positions à laudience.
En définitive,
quil sagisse de représenter de manière générale
un enfant à loccasion dun acte civil ou dun
procès civil ou pénal -, il sagit sans conteste dune
fonction juridique dévolue à ladministrateur ad hoc.
Mais la représentation
du mineur incapable présente un caractère particulier,
notamment lorsquil sagit dune procédure pénale.
II - UNE MISSION A
La loi du 10 juillet 1989 relative à la
maltraitance et à la protection de lenfant a complètement
modifié le rôle dévolu traditionnellement à ladministrateur
ad hoc.
Très vite, sest instaurée une
certaine polémique autour de la mission daccompagnement du
mineur, victime dinceste. Dans ce contexte, il est apparu
évident pour nombre de personnes, que la mission de ladministrateur
ad hoc allait bien au-delà de celle fixée par les textes :
laction civile. De par la qualité de la victime et de la
nature de la procédure, laspect humain sest avéré
primordial et indissociable de laspect juridique.
Michel Allaix, magistrat, lors dun
entretien en janvier
Tous les professionnels confrontés aux
problèmes de maltraitance intra-familiale insistent sur la
fragilité et la solitude de ces enfants, les pressions et
manipulations quils subissent, leur besoin dêtre écouté,
accompagné et protégé. Ils souffrent fréquemment de troubles
psychologiques ou psychiques qui se manifestent de diverses manières :
tentatives de suicide, fugues, agressivité, instabilité,
troubles du sommeil, mutisme, échec scolaire
Aussi, il est impératif quune fois
désigné, ladministrateur ad hoc établisse une relation
de confiance avec lenfant, linforme quil est là
pour lui, dans son intérêt, pour laccompagner tout au
long de la procédure.
Cela suppose quil sengage
avec volonté et discernement.
La confiance nest jamais
automatique. Elle se gagne pas à pas, au quotidien. De plus,
elle comporte toujours une prise de risque.
Elle exige de mettre en accord les
paroles et les actes, cest-à-dire de faire ce que lon
dit, et dire ce que lon fait.
Elle appelle aussi la cohérence, la
transparence, cest-à-dire la nécessité dexpliquer,
dexposer les critères de décision.
Enfin, elle suppose une bonne intégrité
personnelle : savoir dire non, expliquer pourquoi, ne pas
accepter les dérives, les amalgames, les solutions contraires à
lintérêt de lenfant. Ainsi, ladministrateur
ad hoc ne doit pas se laisser manipuler par lenfant qui
peut essayer dobtenir de lui ce quil ne peut pas des
autres intervenants, notamment de ses éducateurs. Il doit en ce
cas, être vigilant, se positionner très clairement par rapport
à la demande de lenfant, tout en lassurant que sa
confiance nest pas remise en cause.
Les auditions, confrontations, expertises
et procès pénal sont des temps judiciaires particulièrement
forts sur le plan émotionnel. Le concours de lenfant
victime à la manifestation de la vérité est nécessaire mais
ces mesures prescrites sont susceptibles de raviver des souvenirs
douloureux ou de provoquer de nouvelles meurtrissures en cas de dénégation
ou de déclaration mensongère de lauteur présumé.
Là, ladministrateur ad hoc peut
jouer un rôle important daide et de soutien, car lenfant
va passer successivement à des stades différents : de
victime, il va devenir accusateur par sa révélation ; puis
menteur lorsque les faits sont contestés ; puis de nouveau
victime lorsque la contestation est forte et quil napporte
pas la preuve de ce quil a subi.
A cette mission de soutien et daccompagnement,
il faut adjoindre celle dinformation. Ladministrateur
ad hoc doit prendre le temps dexpliquer à lenfant le
rôle respectif de chaque intervenant dont le sien. Cette
clarification est nécessaire afin déviter toute confusion.
Ainsi, lenfant sait très bien qui fait quoi et à quelle
personne sadresser en cas de demande particulière.
Sil est important de ne rien cacher
à lenfant des aléas de la procédure, dêtre clair,
authentique, il est également important dutiliser un
langage adapté, de choisir le moment et la manière. Ladministrateur
ad hoc ne doit jamais perdre de vue quil a en face de lui
une personne très fragile accordant peu ou plus confiance à ladulte.
Dans ce contexte, il est essentiel que ladministrateur
ad hoc soit à lécoute de la souffrance de lenfant
et ne lui impose pas ses choix de façon arbitraire. Il doit
laisser ses préjugés, craintes, jugements de côté et savoir
quun enfant qui nest pas écouté ne parlera pas.
Quant à la question de savoir à qui, de
léducateur ou de ladministrateur ad hoc, attribuer
la mission daccompagner le mineur victime au cours du procès
pénal, non seulement il convient de définir précisément ce
terme mais également de poser la question de lopportunité
de multiplier les intervenants autour de lenfant.
Ce point a fait lobjet dun développement
lors des 1ères assises qui se sont tenues à Grenoble en
novembre 1999. Je vous renvoie donc aux actes qui ont été publiées
par lassociation Chrysallis.
En matière dinceste ou dagression
sexuelle, il est incontestable que la victime mineure attend plus
de son administrateur ad hoc, quun rôle purement juridique.
Malika que vous allez entendre cet après-midi,
me la exprimé en quelques mots, écrits après un parcours
long et éprouvant : « Je pense quun
administrateur ad hoc doit être avant tout humain, cest-à-dire
parler avec son cur et sincèrement et non sortir les
phrases dun livre. Il doit avoir une confiance totale, une
très bonne entente. Une bonne entente entre avocat et ad hoc simpose ».
Et elle a terminé sa lettre par « il ne faut pas
obligatoirement coupé les contacts une fois que laffaire
est finie ».
La loi du 17 juin 1998 ainsi que le décret
du 16 septembre 1999 ont confirmé dune certaine manière
cette conception du mandat de ladministrateur ad hoc.
En effet, larticle 706-50 du Code
de procédure pénale qui a remplacé lancien article 87-1
de ce même Code permet désormais la désignation de ladministrateur
ad hoc par le procureur de
Lorsque ladministrateur ad hoc est
désigné par ce magistrat, il va de soi que sa mission à ce
stade de la procédure ne peut être juridique.
Si lon se réfère aux travaux préparatoires
de la loi du 17 juin 1998 et à larticle 706-53 CPP institué
par cette même loi, il est demandé à ladministrateur ad
hoc, par « sa présence », dassurer le soutien
moral et psychologique de lenfant. Certains Parquets le
visent expressément dans lacte de désignation.
Cette présence est également prévue
dans le cadre de linstruction, tant pour les auditions que
pour les confrontations.
De plus, larticle
R 53-7 CPP dispose que les parents ne peuvent faire appel de la désignation
de ladministrateur ad hoc que devant la chambre daccusation
- devenue depuis chambre de linstruction - et devant la
chambre des appels correctionnels.
Cette précision
exclut toute contestation lorsque la désignation émane du
procureur de
*******
En conclusion,
à la question de savoir quelle est la nature du mandat de ladministrateur
ad hoc, je pense que :
-
tantôt, sa mission est purement juridique ;
-
tantôt elle est uniquement daccompagnement ;
-
tantôt elle est à la fois juridique et daccompagnement.
En dautres
termes, lorsquil sagit dun mandat civil - acte
de vente, succession, procédure dindemnisation ou procédure
mettant en cause la filiation dun enfant la mission
est purement juridique.
Lorsquil
sagit dun mandat pénal, la mission peut être à la
fois juridique et daccompagnement ou exclusivement daccompagnement
avec cette précision que depuis le décret de septembre 1999,
les mandats civils sont devenus résiduels.
En effet, les
magistrats doivent en priorité choisir ladministrateur ad
hoc au sein de la famille ou parmi les proches du mineur. Ce nest
quà défaut quils désigneront une personne de la
liste établie pour les mandats pénaux.
Il sensuit
quen matière de représentation « ad hoc », de
lenfant, le droit commun est devenu lexception.
Ce nest
pas un hasard si lon regarde lévolution de la législation
en la matière. Cest pour ces enfants victimes dagressions
sexuelles que ladministrateur ad hoc est sorti de lombre
en 1989 et quon la doté dun début de statut
dix ans plus tard.