Les dossiers de Chrysallis

LA NATURE DU MANDAT DE L’ADMINISTRATEUR AD HOC : FONCTION JURIDIQUE ET/OU D ACCOMPAGNEMENT

 

Le thème de l’intervention est : « La nature du mandat de l’administrateur ad hoc : fonction juridique et/ou d’accompagnement ». L’intitulé ne vous a pas échappé : il s’agit bien d’une affirmation, non d’une interrogation. C’est la position que je vais défendre en ma double qualité, de juriste mais également de praticienne exerçant des mandats d’administrateur ad hoc depuis 11 ans, ce qui revient à analyser la lettre et l’esprit des textes relatifs à l’administration « ad hoc ».

 

Le juriste a dit-on, la réputation d’être précis dans ses propos. Il est ce que certains appellent un « maniaque du mot juste ». De plus, il ne peut s’empêcher d’analyser chaque mot, chaque concept, chaque idée émise par la doctrine ou par la jurisprudence. Il y a des sujets qui sont plus enclins que d’autres à susciter une polémique, voire qui l’exigent. Tel est le cas lorsqu’on aborde la représentation « ad hoc » du mineur. Tenter de définir le plus précisément sa nature est un travail essentiel afin de lever les ambiguïtés et comprendre les difficultés que rencontrent en pratique les administrateurs ad hoc. On ne peut faire abstraction de cet exercice, difficile au demeurant.

 

La représentation « ad hoc » de l’enfant consiste en une substitution de représentant. En d’autres termes, un magistrat prend la décision de désigner un tiers en qualité d’administrateur ad hoc, en remplacement des représentants légaux de l’enfant. Mais cette technique juridique constitue la partie émergée de l’iceberg car en fait, une telle décision se trouve à l’interface de deux notions, le droit et l’humain. Et cela est particulièrement vrai lorsque l’administrateur ad hoc représente un enfant victime d’une infraction sexuelle. Il s’ensuit que le mandat de l’administrateur ad hoc présente une double nature : juridique de par la nature de la représentation mais également, voire exclusivement d’accompagnement en matière pénale.

 

 

I - TRADITIONNELLEMENT : UNE MISSION PUREMENT JURIDIQUE

 

La représentation du mineur, qu’elle soit légale ou judiciaire, renvoie à son incapacité d’exercice à laquelle elle supplée. Les parents sont de par les textes, les représentants naturels de leur enfant. Cette fonction leur revient de droit. Mais parfois, ils ne peuvent ou ne veulent pas l’exercer. En ce cas, les magistrats ont la possibilité de leur substituer un représentant, l’administrateur ad hoc.

 

Les textes relatifs à la représentation sont laconiques : ils parlent de représenter le mineur dans une procédure ou lors d’un acte civil. Etymologiquement, représenter signifie « rendre présent, être devant, mettre devant les yeux ou devant l’esprit de quelqu’un », et par extension « montrer ». Mais quel est l’objet de la représentation  : la personne de l’enfant, son intérêt, sa volonté, sa parole, un de ces éléments pris isolément ou plusieurs simultanément ?

 

Si c’est le mineur en tant que personne humaine fait de chair et de sang dont il s’agit, cela revient à retenir sa substitution physique. Elle l’est nécessairement pour les très jeunes enfants. Mais qu’en est-il pour les autres ?

Par référence à la représentation par voie d’avocat qui remplace physiquement son client, on pourrait retenir l’idée que le mineur n’a pas à figurer en personne sur la scène juridique, au nom de sa protection, le procès étant généralement un harcèlement d’émotions.

Toutefois, sa présence ne peut pas toujours être exclue, notamment lors de procédures pénales : audition, confrontation, expertise médico-psychologique. Là, on ne peut plus parler de représentation mais d’assistance.

En pratique, la question se pose pour l’audience pénale. Lorsque le mineur exprime le souhait d’y assister, son représentant devra rechercher ses motivations afin qu’il ne soit pas utilisé par la partie adverse. Cela vérifié, la présence de l’enfant victime peut s’avérer indispensable pour deux raisons : d’une part, le besoin d’entendre du juge les limites fixées par la loi et qu’il n’est en rien coupable ; d’autre part, son témoignage à la cour d’assises peut s’avérer important, de par l’oralité de la procédure.

 

Au-delà de cette substitution physique, une volonté est exprimée qui se concrétise en une demande, une position par rapport au litige en cours ou à un acte déterminé. Qui a cette faculté de vouloir, de décider quelque chose : le mineur non émancipé ou son représentant ?

 

Lorsqu’on est en présence d’une représentation de nature conventionnelle, on peut affirmer sans risquer d’être contredit que c’est la volonté du représenté qui est exprimée, voire qui préside à tout moment. Le titulaire du droit a la faculté de recourir ou non à ce mode d’action. Chaque fois que sa présence n’est pas obligatoire, s’il décide de ne pas figurer en personne à l’audience et par conséquent de se faire remplacer, non seulement il peut choisir son représentant, en changer éventuellement, mais également il lui donne ses instructions. Le représentant devra exprimer la volonté de la personne qu’il représente. Il devra même la respecter s’il ne veut pas voir engager sa responsabilité professionnelle. Cette représentation de nature conventionnelle s’avère être en fin de compte une simple substitution physique.

 

Il en va tout autrement lorsqu’il s’agit d’une représentation légale ou judiciaire que peut connaître tout enfant durant sa minorité. Titulaire du droit, il n’a pas le choix du moyen d’action. Le recours au mécanisme de représentation est le seul moyen juridique dont il dispose pour exercer ses droits. Contrairement à la situation précédente, les modalités pratiques ne seront pas les mêmes. En effet, le choix de son représentant comme les décisions lui échappent totalement. Son représentant est, soit désigné par la loi en fonction de sa situation personnelle (administrateur légal, tuteur), soit choisi par le juge (administrateur ad hoc).De plus, le représentant légal ou judiciaire du mineur non émancipé est investi du pouvoir d’initiative et de direction. Avec ce mode d’action qui confère le pouvoir décisionnel au représentant, la volonté de l’enfant se trouve de ce fait complètement occultée. Il ne s’agit plus seulement d’une substitution physique, mais d’une substitution de volonté.

 

Action en remplacement d’autrui, la représentation suppose l’accomplissement d’un acte juridique ou d’une action par une personne qui n’intervient pas en son propre nom mais au nom d’autrui, qui n’agit pas pour son compte mais pour le compte d’autrui. Cette définition met l’accent sur le rôle essentiel du représentant qui agit par substitution, qui par la volonté exprimée, va engager la personne qu’il remplace. Les effets de l’acte ne sont pas supportés par celui qui agit, le représentant, mais par celui au nom duquel on agit, le représenté.

 

Dans ce contexte, l’administrateur ad hoc agit au nom et pour le compte du mineur avec cette particularité que ce dernier n’émet pas lui-même son propre choix ou la volonté qui forme l’acte juridique. Bien que personne juridique, le mineur disparaît derrière l’écran de la représentation. Cette idée se retrouve avec force dans la définition originaire du mot « personne », qui désigne « le masque des acteurs ».

 

Cela dit, la représentation, moyen juridique pour pallier l’incapacité d’exercice et conçue dans l’intérêt de l’incapable, ne doit pas se révéler violente dans sa mise en œuvre. Représenter un mineur, c’est comme on vient de le voir, prendre sa place sur la scène juridique. Faut-il alors l’exclure de toutes les décisions importantes qui le concernent ? Dans la mesure où c’est lui qui supportera les conséquences de la décision judiciaire, n’est-ce pas en ce cas, une autre forme de violence que de le maintenir dans un état d’incapacité, c’est-à-dire décider sans lui, contre lui ou pour lui, au nom de ses intérêts ? Que dire de ces administrateurs ad hoc qui prennent des décisions sans avoir rencontré l’enfant et qui l’excluent de la procédure ? Pour eux, la justice est une affaire d’adultes où les enfants n’ont pas leur place. Or, ces enfants, n’ayant pu exprimer leur sentiment, n’ayant pas été informés, se sentent dépossédés de leur affaire. Cette pratique n’est pas à préconiser car on risque de rejouer le même scénario familial, à savoir substituer un autre abus de pouvoir, d’autorité au premier. Elle crée ce que l’on appelle une « victimation secondaire » ou une « surviolence » entraînant des conséquences psychologiques néfastes pour l’enfant.

Aussi, suis-je favorable à une autre conception plus large mais aussi plus humaniste du mandat qui consiste à respecter l’enfant. Dans les faits, cela consiste à entrer en communication avec lui, l’écouter et lui restituer les enjeux des décisions prises pour lui. Cette conception exclut toute généralisation, toute règle préétablie. Cela suppose une étude très précise et complète de la situation avant toute prise de décision.

En cas de divergence entre la parole exprimée par l’enfant et la position arrêtée par son représentant, il est important que l’administrateur ad hoc demande à l’avocat d’exprimer ces deux positions à l’audience.

 

En définitive, qu’il s’agisse de représenter de manière générale un enfant à l’occasion d’un acte civil ou d’un procès – civil ou pénal -, il s’agit sans conteste d’une fonction juridique dévolue à l’administrateur ad hoc.

Mais la représentation du mineur incapable présente un caractère particulier, notamment lorsqu’il s’agit d’une procédure pénale.

 

 

II - UNE MISSION A LA FOIS JURIDIQUE ET D’ACCOMPAGNEMENT OU EXCLUSIVEMENT D’ACCOMPAGNEMENT EN MATIERE PENALE

 

La loi du 10 juillet 1989 relative à la maltraitance et à la protection de l’enfant a complètement modifié le rôle dévolu traditionnellement à l’administrateur ad hoc. Très vite, s’est instaurée une certaine polémique autour de la mission d’accompagnement du mineur, victime d’inceste. Dans ce contexte, il est apparu évident pour nombre de personnes, que la mission de l’administrateur ad hoc allait bien au-delà de celle fixée par les textes : l’action civile. De par la qualité de la victime et de la nature de la procédure, l’aspect humain s’est avéré primordial et indissociable de l’aspect juridique. Michel Allaix, magistrat, lors d’un entretien en janvier 1993 a défini le mandat comme étant : « un tutorat juridique et affectif ». Si je suis d’accord sur le principe, en revanche, je réfute le terme « affectif » qui prête à confusion.

 

Tous les professionnels confrontés aux problèmes de maltraitance intra-familiale insistent sur la fragilité et la solitude de ces enfants, les pressions et manipulations qu’ils subissent, leur besoin d’être écouté, accompagné et protégé. Ils souffrent fréquemment de troubles psychologiques ou psychiques qui se manifestent de diverses manières : tentatives de suicide, fugues, agressivité, instabilité, troubles du sommeil, mutisme, échec scolaire…

 

Aussi, il est impératif qu’une fois désigné, l’administrateur ad hoc établisse une relation de confiance avec l’enfant, l’informe qu’il est là pour lui, dans son intérêt, pour l’accompagner tout au long de la procédure. Cela suppose qu’il s’engage avec volonté et discernement. La confiance n’est jamais automatique. Elle se gagne pas à pas, au quotidien. De plus, elle comporte toujours une prise de risque. Elle exige de mettre en accord les paroles et les actes, c’est-à-dire de faire ce que l’on dit, et dire ce que l’on fait. Elle appelle aussi la cohérence, la transparence, c’est-à-dire la nécessité d’expliquer, d’exposer les critères de décision. Enfin, elle suppose une bonne intégrité personnelle : savoir dire non, expliquer pourquoi, ne pas accepter les dérives, les amalgames, les solutions contraires à l’intérêt de l’enfant. Ainsi, l’administrateur ad hoc ne doit pas se laisser manipuler par l’enfant qui peut essayer d’obtenir de lui ce qu’il ne peut pas des autres intervenants, notamment de ses éducateurs. Il doit en ce cas, être vigilant, se positionner très clairement par rapport à la demande de l’enfant, tout en l’assurant que sa confiance n’est pas remise en cause.

 

Les auditions, confrontations, expertises et procès pénal sont des temps judiciaires particulièrement forts sur le plan émotionnel. Le concours de l’enfant victime à la manifestation de la vérité est nécessaire mais ces mesures prescrites sont susceptibles de raviver des souvenirs douloureux ou de provoquer de nouvelles meurtrissures en cas de dénégation ou de déclaration mensongère de l’auteur présumé. Là, l’administrateur ad hoc peut jouer un rôle important d’aide et de soutien, car l’enfant va passer successivement à des stades différents : de victime, il va devenir accusateur par sa révélation ; puis menteur lorsque les faits sont contestés ; puis de nouveau victime lorsque la contestation est forte et qu’il n’apporte pas la preuve de ce qu’il a subi.

 

A cette mission de soutien et d’accompagnement, il faut adjoindre celle d’information. L’administrateur ad hoc doit prendre le temps d’expliquer à l’enfant le rôle respectif de chaque intervenant dont le sien. Cette clarification est nécessaire afin d’éviter toute confusion. Ainsi, l’enfant sait très bien qui fait quoi et à quelle personne s’adresser en cas de demande particulière.

 

S’il est important de ne rien cacher à l’enfant des aléas de la procédure, d’être clair, authentique, il est également important d’utiliser un langage adapté, de choisir le moment et la manière. L’administrateur ad hoc ne doit jamais perdre de vue qu’il a en face de lui une personne très fragile accordant peu ou plus confiance à l’adulte.

 

Dans ce contexte, il est essentiel que l’administrateur ad hoc soit à l’écoute de la souffrance de l’enfant et ne lui impose pas ses choix de façon arbitraire. Il doit laisser ses préjugés, craintes, jugements de côté et savoir qu’un enfant qui n’est pas écouté ne parlera pas.

 

Quant à la question de savoir à qui, de l’éducateur ou de l’administrateur ad hoc, attribuer la mission d’accompagner le mineur victime au cours du procès pénal, non seulement il convient de définir précisément ce terme mais également de poser la question de l’opportunité de multiplier les intervenants autour de l’enfant. Ce point a fait l’objet d’un développement lors des 1ères assises qui se sont tenues à Grenoble en novembre 1999. Je vous renvoie donc aux actes qui ont été publiées par l’association Chrysallis.

 

En matière d’inceste ou d’agression sexuelle, il est incontestable que la victime mineure attend plus de son administrateur ad hoc, qu’un rôle purement juridique. Malika que vous allez entendre cet après-midi, me l’a exprimé en quelques mots, écrits après un parcours long et éprouvant : « Je pense qu’un administrateur ad hoc doit être avant tout humain, c’est-à-dire parler avec son cœur et sincèrement et non sortir les phrases d’un livre. Il doit avoir une confiance totale, une très bonne entente. Une bonne entente entre avocat et ad hoc s’impose ». Et elle a terminé sa lettre par « il ne faut pas obligatoirement coupé les contacts une fois que l’affaire est finie ».

 

La loi du 17 juin 1998 ainsi que le décret du 16 septembre 1999 ont confirmé d’une certaine manière cette conception du mandat de l’administrateur ad hoc.

En effet, l’article 706-50 du Code de procédure pénale qui a remplacé l’ancien article 87-1 de ce même Code permet désormais la désignation de l’administrateur ad hoc par le procureur de la République, c’est-à-dire dès la phase de l’enquête préliminaire. Lorsque l’administrateur ad hoc est désigné par ce magistrat, il va de soi que sa mission à ce stade de la procédure ne peut être juridique. Si l’on se réfère aux travaux préparatoires de la loi du 17 juin 1998 et à l’article 706-53 du Code de procédure pénale institué par cette même loi, il est demandé à l’administrateur ad hoc, par « sa présence », d’assurer le soutien moral et psychologique de l’enfant. Certains Parquets le visent expressément dans l’acte de désignation. Cette présence est également prévue dans le cadre de l’instruction, tant pour les auditions que pour les confrontations.

 

De plus, l’article R 53-7 du Code de procédure pénale dispose que les parents ne peuvent faire appel de la désignation de l’administrateur ad hoc que devant la chambre d’accusation - devenue depuis chambre de l’instruction - et devant la chambre des appels correctionnels. Cette précision exclut toute contestation lorsque la désignation émane du procureur de la République. Est-ce un oubli ou la volonté du gouvernement dans la mesure où là, la fonction de l’administrateur est exclusivement d’accompagnement ?

 

 

*******

 

En conclusion, à la question de savoir quelle est la nature du mandat de l’administrateur ad hoc, je pense que, tantôt, sa mission est purement juridique ; tantôt elle est uniquement d’accompagnement ; tantôt elle est à la fois juridique et d’accompagnement. En d’autres termes, lorsqu’il s’agit d’un mandat civil - acte de vente, succession, procédure d’indemnisation ou procédure mettant en cause la filiation d’un enfant – la mission est purement juridique. Lorsqu’il s’agit d’un mandat pénal, la mission peut être à la fois juridique et d’accompagnement ou exclusivement d’accompagnement avec cette précision que depuis le décret de septembre 1999, les mandats civils sont devenus résiduels. En effet, les magistrats doivent en priorité choisir l’administrateur ad hoc au sein de la famille ou parmi les proches du mineur. Ce n’est qu’à défaut qu’ils désigneront une personne de la liste établie pour les mandats pénaux.

 

Il s’ensuit qu’en matière de représentation « ad hoc », de l’enfant, le droit commun est devenu l’exception. Ce n’est pas un hasard si l’on regarde l’évolution de la législation en la matière. C’est pour ces enfants victimes d’agressions sexuelles que l’administrateur ad hoc est sorti de l’ombre en 1989 et qu’on l’a doté d’un début de statut dix ans plus tard.

 

 

 

·        bibliographie

 

-         P. PETEL : Le contrat de mandat, coll. Connaissance du droit, éd. Dalloz, Paris 1994.

-         M. STORCK : Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques, Bibliothèque de droit privé, tome CLXXII, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris 1982.

-         G. FAVRE-LANFRAY : La représentation « ad hoc » de l’enfant, thèse doctorat en droit, Grenoble 2000.

-         J. CARBONNIER : Les personnes : personnalité, incapacités, personnes morales, coll. Thémis, Droit privé, PUF, éd. 1992.

-         J. ARGELES : La convention de Bordeaux, AGEP.

-         G. FAVRE-LANFRAY : Contenu et limites du mandat de l’administrateur ad hoc, actes colloque « L’administrateur ad hoc, cet inconnu ! »novembre 1999, Grenoble.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA NATURE DU MANDAT DE L’ADMINISTRATEUR AD HOC :

FONCTION JURIDIQUE ET/OU D’ACCOMPAGNEMENT

 

 

Le thème de l’intervention est : « La nature du mandat de l’administrateur ad hoc : fonction juridique et/ou d’accompagnement ».

L’intitulé ne vous a pas échappé : il s’agit bien d’une affirmation, non d’une interrogation. C’est la position que je vais défendre en ma double qualité, de juriste mais également de praticienne exerçant des mandats d’administrateur ad hoc depuis 11 ans, ce qui revient à analyser la lettre et l’esprit des textes relatifs à l’administration « ad hoc ».

 

Le juriste a dit-on, la réputation d’être précis dans ses propos. Il est ce que certains appellent un « maniaque du mot juste ». De plus, il ne peut s’empêcher d’analyser chaque mot, chaque concept, chaque idée émise par la doctrine ou par la jurisprudence. Il y a des sujets qui sont plus enclins que d’autres à susciter une polémique, voire qui l’exigent. Tel est le cas lorsqu’on aborde la représentation « ad hoc » du mineur.

Tenter de définir le plus précisément sa nature est un travail essentiel afin de lever les ambiguïtés et comprendre les difficultés que rencontrent en pratique les administrateurs ad hoc. On ne peut faire abstraction de cet exercice, difficile au demeurant.

 

La représentation « ad hoc » de l’enfant consiste en une substitution de représentant. En d’autres termes, un magistrat prend la décision de désigner un tiers en qualité d’administrateur ad hoc, en remplacement des représentants légaux de l’enfant. Mais cette technique juridique constitue la partie émergée de l’iceberg car en fait, une telle décision se trouve à l’interface de deux notions, le droit et l’humain. Et cela est particulièrement vrai lorsque l’administrateur ad hoc représente un enfant victime d’une infraction sexuelle.

Il s’ensuit que le mandat de l’administrateur ad hoc présente une double nature : juridique de par la nature de la représentation mais également, voire exclusivement d’accompagnement en matière pénale.

 

 

I - TRADITIONNELLEMENT : UNE MISSION PUREMENT JURIDIQUE

 

La représentation du mineur, qu’elle soit légale ou judiciaire, renvoie à son incapacité d’exercice à laquelle elle supplée. Les parents sont de par les textes, les représentants naturels de leur enfant. Cette fonction leur revient de droit. Mais parfois, ils ne peuvent ou ne veulent pas l’exercer. En ce cas, les magistrats ont la possibilité de leur substituer un représentant, l’administrateur ad hoc.

 

Les textes relatifs à la représentation sont laconiques : ils parlent de représenter le mineur dans une procédure ou lors d’un acte civil. Etymologiquement, représenter signifie « rendre présent, être devant, mettre devant les yeux ou devant l’esprit de quelqu’un », et par extension « montrer ». Mais quel est l’objet de la représentation  : la personne de l’enfant, son intérêt, sa volonté, sa parole, un de ces éléments pris isolément ou plusieurs simultanément ?

 

Si c’est le mineur en tant que personne humaine fait de chair et de sang dont il s’agit, cela revient à retenir sa substitution physique. Elle l’est nécessairement pour les très jeunes enfants. Mais qu’en est-il pour les autres ?

 

Par référence à la représentation par voie d’avocat qui remplace physiquement son client, on pourrait retenir l’idée que le mineur n’a pas à figurer en personne sur la scène juridique, au nom de sa protection, le procès étant généralement un harcèlement d’émotions.

Toutefois, sa présence ne peut pas toujours être exclue, notamment lors de procédures pénales : audition, confrontation, expertise médico-psychologique. Là, on ne peut plus parler de représentation mais d’assistance.

 

En pratique, la question se pose pour l’audience pénale. Lorsque le mineur exprime le souhait d’y assister, son représentant devra rechercher ses motivations afin qu’il ne soit pas utilisé par la partie adverse.

Cela vérifié, la présence de l’enfant victime peut s’avérer indispensable pour deux raisons :

-         d’une part, le besoin d’entendre du juge les limites fixées par la loi et qu’il n’est en rien coupable ;

-         d’autre part, son témoignage à la cour d’assises peut s’avérer important, de par l’oralité de la procédure.

 

Au-delà de cette substitution physique, une volonté est exprimée qui se concrétise en une demande, une position par rapport au litige en cours ou à un acte déterminé. Qui a cette faculté de vouloir, de décider quelque chose : le mineur non émancipé ou son représentant ?

 

Lorsqu’on est en présence d’une représentation de nature conventionnelle, on peut affirmer sans risquer d’être contredit que c’est la volonté du représenté qui est exprimée, voire qui préside à tout moment. Le titulaire du droit a la faculté de recourir ou non à ce mode d’action. Chaque fois que sa présence n’est pas obligatoire, s’il décide de ne pas figurer en personne à l’audience et par conséquent de se faire remplacer, non seulement il peut choisir son représentant, en changer éventuellement, mais également il lui donne ses instructions. Le représentant devra exprimer la volonté de la personne qu’il représente. Il devra même la respecter s’il ne veut pas voir engager sa responsabilité professionnelle.

Cette représentation de nature conventionnelle s’avère être en fin de compte une simple substitution physique.

 

Il en va tout autrement lorsqu’il s’agit d’une représentation légale ou judiciaire que peut connaître tout enfant durant sa minorité. Titulaire du droit, il n’a pas le choix du moyen d’action. Le recours au mécanisme de représentation est le seul moyen juridique dont il dispose pour exercer ses droits. Contrairement à la situation précédente, les modalités pratiques ne seront pas les mêmes. En effet, le choix de son représentant comme les décisions lui échappent totalement.

Son représentant est :

-         soit désigné par la loi en fonction de sa situation personnelle (administrateur légal, tuteur),

-         soit choisi par le juge (administrateur ad hoc).

De plus, le représentant légal ou judiciaire du mineur non émancipé est investi du pouvoir d’initiative et de direction. Avec ce mode d’action qui confère le pouvoir décisionnel au représentant, la volonté de l’enfant se trouve de ce fait complètement occultée. Il ne s’agit plus seulement d’une substitution physique, mais d’une substitution de volonté.

 

Action en remplacement d’autrui, la représentation suppose l’accomplissement d’un acte juridique ou d’une action par une personne qui n’intervient pas en son propre nom mais au nom d’autrui, qui n’agit pas pour son compte mais pour le compte d’autrui. Cette définition met l’accent sur le rôle essentiel du représentant qui agit par substitution, qui par la volonté exprimée, va engager la personne qu’il remplace. Les effets de l’acte ne sont pas supportés par celui qui agit, le représentant, mais par celui au nom duquel on agit, le représenté.

 

Dans ce contexte, l’administrateur ad hoc agit au nom et pour le compte du mineur avec cette particularité que ce dernier n’émet pas lui-même son propre choix ou la volonté qui forme l’acte juridique. Bien que personne juridique, le mineur disparaît derrière l’écran de la représentation. Cette idée se retrouve avec force dans la définition originaire du mot « personne », qui désigne « le masque des acteurs ».

 

Cela dit, la représentation, moyen juridique pour pallier l’incapacité d’exercice et conçue dans l’intérêt de l’incapable, ne doit pas se révéler violente dans sa mise en œuvre.

Représenter un mineur, c’est comme on vient de le voir, prendre sa place sur la scène juridique. Faut-il alors l’exclure de toutes les décisions importantes qui le concernent ?

Dans la mesure où c’est lui qui supportera les conséquences de la décision judiciaire, n’est-ce pas en ce cas, une autre forme de violence que de le maintenir dans un état d’incapacité, c’est-à-dire décider sans lui, contre lui ou pour lui, au nom de ses intérêts ?

 

Que dire de ces administrateurs ad hoc qui prennent des décisions sans avoir rencontré l’enfant et qui l’excluent de la procédure ? Pour eux, la justice est une affaire d’adultes où les enfants n’ont pas leur place.

Or, ces enfants, n’ayant pu exprimer leur sentiment, n’ayant pas été informés, se sentent dépossédés de leur affaire. Cette pratique n’est pas à préconiser car on risque de rejouer le même scénario familial, à savoir substituer un autre abus de pouvoir, d’autorité au premier. Elle crée ce que l’on appelle une « victimation secondaire » ou une « surviolence » entraînant des conséquences psychologiques néfastes pour l’enfant.

Aussi, suis-je favorable à une autre conception plus large mais aussi plus humaniste du mandat qui consiste à respecter l’enfant. Dans les faits, cela consiste à entrer en communication avec lui, l’écouter et lui restituer les enjeux des décisions prises pour lui. Cette conception exclut toute généralisation, toute règle préétablie. Cela suppose une étude très précise et complète de la situation avant toute prise de décision.

 

En cas de divergence entre la parole exprimée par l’enfant et la position arrêtée par son représentant, il est important que l’administrateur ad hoc demande à l’avocat d’exprimer ces deux positions à l’audience.

 

En définitive, qu’il s’agisse de représenter de manière générale un enfant à l’occasion d’un acte civil ou d’un procès – civil ou pénal -, il s’agit sans conteste d’une fonction juridique dévolue à l’administrateur ad hoc.

Mais la représentation du mineur incapable présente un caractère particulier, notamment lorsqu’il s’agit d’une procédure pénale.

 

 

II - UNE MISSION A LA FOIS JURIDIQUE ET D’ACCOMPAGNEMENT OU EXCLUSIVEMENT D’ACCOMPAGNEMENT EN MATIERE PENALE

 

La loi du 10 juillet 1989 relative à la maltraitance et à la protection de l’enfant a complètement modifié le rôle dévolu traditionnellement à l’administrateur ad hoc.

Très vite, s’est instaurée une certaine polémique autour de la mission d’accompagnement du mineur, victime d’inceste. Dans ce contexte, il est apparu évident pour nombre de personnes, que la mission de l’administrateur ad hoc allait bien au-delà de celle fixée par les textes : l’action civile. De par la qualité de la victime et de la nature de la procédure, l’aspect humain s’est avéré primordial et indissociable de l’aspect juridique.

Michel Allaix, magistrat, lors d’un entretien en janvier 1993 a défini le mandat comme étant : « un tutorat juridique et affectif ». Si je suis d’accord sur le principe, en revanche, je réfute le terme « affectif » qui prête à confusion.

 

Tous les professionnels confrontés aux problèmes de maltraitance intra-familiale insistent sur la fragilité et la solitude de ces enfants, les pressions et manipulations qu’ils subissent, leur besoin d’être écouté, accompagné et protégé. Ils souffrent fréquemment de troubles psychologiques ou psychiques qui se manifestent de diverses manières : tentatives de suicide, fugues, agressivité, instabilité, troubles du sommeil, mutisme, échec scolaire…

 

Aussi, il est impératif qu’une fois désigné, l’administrateur ad hoc établisse une relation de confiance avec l’enfant, l’informe qu’il est là pour lui, dans son intérêt, pour l’accompagner tout au long de la procédure.

Cela suppose qu’il s’engage avec volonté et discernement.

La confiance n’est jamais automatique. Elle se gagne pas à pas, au quotidien. De plus, elle comporte toujours une prise de risque.

Elle exige de mettre en accord les paroles et les actes, c’est-à-dire de faire ce que l’on dit, et dire ce que l’on fait.

Elle appelle aussi la cohérence, la transparence, c’est-à-dire la nécessité d’expliquer, d’exposer les critères de décision.

Enfin, elle suppose une bonne intégrité personnelle : savoir dire non, expliquer pourquoi, ne pas accepter les dérives, les amalgames, les solutions contraires à l’intérêt de l’enfant. Ainsi, l’administrateur ad hoc ne doit pas se laisser manipuler par l’enfant qui peut essayer d’obtenir de lui ce qu’il ne peut pas des autres intervenants, notamment de ses éducateurs. Il doit en ce cas, être vigilant, se positionner très clairement par rapport à la demande de l’enfant, tout en l’assurant que sa confiance n’est pas remise en cause.

 

Les auditions, confrontations, expertises et procès pénal sont des temps judiciaires particulièrement forts sur le plan émotionnel. Le concours de l’enfant victime à la manifestation de la vérité est nécessaire mais ces mesures prescrites sont susceptibles de raviver des souvenirs douloureux ou de provoquer de nouvelles meurtrissures en cas de dénégation ou de déclaration mensongère de l’auteur présumé.

Là, l’administrateur ad hoc peut jouer un rôle important d’aide et de soutien, car l’enfant va passer successivement à des stades différents : de victime, il va devenir accusateur par sa révélation ; puis menteur lorsque les faits sont contestés ; puis de nouveau victime lorsque la contestation est forte et qu’il n’apporte pas la preuve de ce qu’il a subi.

 

A cette mission de soutien et d’accompagnement, il faut adjoindre celle d’information. L’administrateur ad hoc doit prendre le temps d’expliquer à l’enfant le rôle respectif de chaque intervenant dont le sien. Cette clarification est nécessaire afin d’éviter toute confusion. Ainsi, l’enfant sait très bien qui fait quoi et à quelle personne s’adresser en cas de demande particulière.

 

S’il est important de ne rien cacher à l’enfant des aléas de la procédure, d’être clair, authentique, il est également important d’utiliser un langage adapté, de choisir le moment et la manière. L’administrateur ad hoc ne doit jamais perdre de vue qu’il a en face de lui une personne très fragile accordant peu ou plus confiance à l’adulte.

 

Dans ce contexte, il est essentiel que l’administrateur ad hoc soit à l’écoute de la souffrance de l’enfant et ne lui impose pas ses choix de façon arbitraire. Il doit laisser ses préjugés, craintes, jugements de côté et savoir qu’un enfant qui n’est pas écouté ne parlera pas.

 

Quant à la question de savoir à qui, de l’éducateur ou de l’administrateur ad hoc, attribuer la mission d’accompagner le mineur victime au cours du procès pénal, non seulement il convient de définir précisément ce terme mais également de poser la question de l’opportunité de multiplier les intervenants autour de l’enfant.

Ce point a fait l’objet d’un développement lors des 1ères assises qui se sont tenues à Grenoble en novembre 1999. Je vous renvoie donc aux actes qui ont été publiées par l’association Chrysallis.

 

En matière d’inceste ou d’agression sexuelle, il est incontestable que la victime mineure attend plus de son administrateur ad hoc, qu’un rôle purement juridique.

Malika que vous allez entendre cet après-midi, me l’a exprimé en quelques mots, écrits après un parcours long et éprouvant : « Je pense qu’un administrateur ad hoc doit être avant tout humain, c’est-à-dire parler avec son cœur et sincèrement et non sortir les phrases d’un livre. Il doit avoir une confiance totale, une très bonne entente. Une bonne entente entre avocat et ad hoc s’impose ». Et elle a terminé sa lettre par « il ne faut pas obligatoirement coupé les contacts une fois que l’affaire est finie ».

 

La loi du 17 juin 1998 ainsi que le décret du 16 septembre 1999 ont confirmé d’une certaine manière cette conception du mandat de l’administrateur ad hoc.

 

En effet, l’article 706-50 du Code de procédure pénale qui a remplacé l’ancien article 87-1 de ce même Code permet désormais la désignation de l’administrateur ad hoc par le procureur de la République, c’est-à-dire dès la phase de l’enquête préliminaire.

 

Lorsque l’administrateur ad hoc est désigné par ce magistrat, il va de soi que sa mission à ce stade de la procédure ne peut être juridique.

Si l’on se réfère aux travaux préparatoires de la loi du 17 juin 1998 et à l’article 706-53 CPP institué par cette même loi, il est demandé à l’administrateur ad hoc, par « sa présence », d’assurer le soutien moral et psychologique de l’enfant. Certains Parquets le visent expressément dans l’acte de désignation.

Cette présence est également prévue dans le cadre de l’instruction, tant pour les auditions que pour les confrontations.

 

De plus, l’article R 53-7 CPP dispose que les parents ne peuvent faire appel de la désignation de l’administrateur ad hoc que devant la chambre d’accusation - devenue depuis chambre de l’instruction - et devant la chambre des appels correctionnels.

Cette précision exclut toute contestation lorsque la désignation émane du procureur de la République. Est-ce un oubli ou la volonté du gouvernement dans la mesure où là, la fonction de l’administrateur est exclusivement d’accompagnement ?

 

 

 

*******

 

En conclusion, à la question de savoir quelle est la nature du mandat de l’administrateur ad hoc, je pense que :

-         tantôt, sa mission est purement juridique ;

-         tantôt elle est uniquement d’accompagnement ;

-         tantôt elle est à la fois juridique et d’accompagnement.

 

En d’autres termes, lorsqu’il s’agit d’un mandat civil - acte de vente, succession, procédure d’indemnisation ou procédure mettant en cause la filiation d’un enfant – la mission est purement juridique.

Lorsqu’il s’agit d’un mandat pénal, la mission peut être à la fois juridique et d’accompagnement ou exclusivement d’accompagnement avec cette précision que depuis le décret de septembre 1999, les mandats civils sont devenus résiduels.

En effet, les magistrats doivent en priorité choisir l’administrateur ad hoc au sein de la famille ou parmi les proches du mineur. Ce n’est qu’à défaut qu’ils désigneront une personne de la liste établie pour les mandats pénaux.

 

Il s’ensuit qu’en matière de représentation « ad hoc », de l’enfant, le droit commun est devenu l’exception.

Ce n’est pas un hasard si l’on regarde l’évolution de la législation en la matière. C’est pour ces enfants victimes d’agressions sexuelles que l’administrateur ad hoc est sorti de l’ombre en 1989 et qu’on l’a doté d’un début de statut dix ans plus tard.