Les dossiers de Chrysallis

REPRESENTATION ET ACCOMPAGNEMENT DE L’ENFANT VICTIME

31 janvier 2003

 

 

En préambule, il convient de préciser que le mineur victime est juridiquement incapable en droit français. La conséquence de ce statut est qu’il ne peut agir personnellement et directement en justice pour demander réparation de son préjudice.

Le principe retenu est celui de sa représentation par ses parents, en tant qu’administrateurs légaux. Toutefois, lorsque « la protection des intérêts de l’enfant victime n’est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l’un d’entre eux », un administrateur ad hoc doit lui être désigné par un juge pénal (art. 706-50 CPP).

 

L’administrateur ad hoc est une personne –physique ou morale-, désignée par un magistrat, qui se substitue aux parents pour exercer les droits de leur enfant mineur non émancipé, en son nom et à sa place et dans la limite de la mission qui lui est confiée.

 

De juillet 1989 à juin 1998, seuls le juge d’instruction et la juridiction de jugement pouvaient désigner un administrateur ad hoc mais uniquement aux enfants victimes de maltraitance intra-familiale, c’est-à-dire celle exercée par les parents sur leurs propres enfants (art. 87-1 CPP).

 

A partir de juin 1998, cette compétence a été étendu au procureur de la République, ce qui permet désormais la représentation de l’enfant aux différentes phases du procès pénal : enquête préliminaire – instruction – jugement. De plus, nous sommes passé de la maltraitance intra-familiale à la maltraitance en général dans la mesure où le législateur a supprimé toute référence à la qualité de l’auteur de l’infraction.

 

A noter, au regard de ces restrictions procédurales, que depuis janvier 1993, tout juge saisi d’une instance – qu’elle soit civile ou pénale - peut désigner un administrateur ad hoc à un mineur lorsque ses intérêts apparaissent en opposition avec ceux de ses représentants légaux (art. 388-2 C. civ.).

 

Au regard de ce dispositif législatif, il s’avère que je suis désignée :

-         majoritairement par un juge d’instruction (2ème phase du processus pénal)

-         occasionnellement -) par le tribunal correctionnel (absence de désignation par le juge d’instruction – absence d’instruction s’agissant de faits délictuels)

   -) par le juge des tutelles (après un classement sans suite)

-         et pour la 1ère fois en décembre 2002, par le Procureur de la République (avant une audience correctionnelle)

 

Lorsqu’un juge d’instruction m’a confié pour la 1ère fois un mandat d’administrateur ad hoc (1990), je n’avais aucune idée de ce que je devais faire et comment exercer mon mandat.

En tant que juriste, je me suis référée à l’art. 87-1 CPP qui servait à l’époque de fondement à ma désignation en qualité d’administrateur ad hoc, à savoir exercer s’il y a lieu les droits reconnus à la partie civile, en d’autres termes exercer l’action civile pour le compte d’une victime, mineure.

L’art. 706-50 qui l’a remplacé en juin 1998 n’a apporté aucune modification sur ce point.

 

Une fois désigné, l’administrateur ad hoc est libre de définir sa propre orientation. Le texte ne crée obligation à la charge de l’administrateur ad hoc bien que dans nombre de désignations, les termes « s’il y a lieu » ont été occultés. Il peut donc tout au long du procès pénal, se constituer ou non partie civile, choisir le moment de sa constitution mais également se désister ensuite.

 

Cependant, la constitution de partie civile est essentielle et répond à l’intérêt de l’enfant, car il devient partie à la procédure et bénéficie de l’assistance d’un avocat. De même, l’administrateur ad hoc dispose d’une grande liberté pour :

-         faire des demandes d’actes (expertises, contre-expertises)

-         faire appel des décisions

-         demander des dommages-intérêts

-         solliciter le retrait total ou partiel de l’autorité parentale.

 

Parfois, il arrive que des enfants ne souhaitent pas que l’on se constitue partie civile, se sentant coupable de l’incarcération de leur parent ou parce qu’ils subissent des pressions pouvant aller jusqu’au chantage au suicide. En ce cas, il est important de leur dire qu’ils ne sont en rien responsables des conséquences du signalement et que l’action civile est inopérante sur l’action publique diligentée par le Parquet. En d’autres termes, tout retrait de plainte n’entraînera pas illico presto la libération du parent incarcéré.

 

Lorsque je suis désignée en qualité d’administrateur ad hoc pour représenter un enfant victime, que ce soit de maltraitance physique ou d’agressions sexuelles, il m’est apparu évident que ma mission allait bien au-delà de celle fixée par le texte pénal : l’action civile.

 

En effet, de par la minorité de la victime et de la qualité de l’auteur, l’aspect humain s’avère indissociable de l’aspect juridique. L’administrateur ad hoc ne représente pas une abstraction, mais un être humain et de surcroît, un enfant qui a été victime de la part de ses parents ou d’un membre de la famille. Comment ce représentant peut formuler des demandes au nom d’un enfant et dans son intérêt sans l’avoir rencontré, sans avoir discuté avec lui ?

 

Aussi, et ce, depuis mon 1er mandat,

-         je fais en sorte d’établir une relation de confiance avec l’enfant

-         je l’informe que je suis là exclusivement pour lui, pour exercer ses droits, défendre ses intérêts et l’accompagner tout au long de la procédure (auditions, confrontations, procès pénal)

-         si besoin est, je lui explique qu’il n’est en rien responsable de l’incarcération de la personne qu’il a désigné comme auteur de sévices.

 

A cette mission de soutien et d’accompagnement, j’ai intégré celle d’information pour les enfants ayant le discernement, à savoir :

-         expliquer le rôle respectif de chaque intervenant : juge d’instruction, juge des enfants, avocat, éducateur, administrateur ad hoc…

-         le déroulement de la procédure en cours

-         le contenu du dossier pénal, tant les points forts que les points faibles

-         le résultat des expertises

-         la position de la famille

-         le choix de nos décisions

-         les différentes décisions de justice

 

Il m’est arrivé :

-         de témoigner en justice de la souffrance de l’enfant, de l’ambiguïté de la mère, des pressions et menaces exercées par la famille

-         de restituer des confidences reçues par l’enfant avec son accord, soit parce qu’il n’était pas libre d’exprimer son opinion, soit parce qu’il est incapable de le faire (sidération).

 

Par ailleurs, l’intérêt de l’enfant exige que l’administrateur ad hoc travaille en partenariat, en collaboration avec l’avocat mais aussi avec les travailleurs sociaux lorsqu’il y a une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert ou lorsque l’enfant est placé.

 

Mais le partenariat suppose une reconnaissance mutuelle et un rapport de forces qui ne traduise pas une dominance des uns sur les autres. Le partenariat suppose des qualités mais également de laisser « chacun bien identifié, à sa place mais en complémentarité à l’autre ».

 

Depuis 1990, j’ai toujours refusé d’être considéré comme un prête-nom ; en d’autres termes, permettre seulement à l’enfant d’être assisté d’un avocat.

Ma conception du mandat de l’administrateur est double : à la fois juridique et d’accompagnement.

 

La loi du 17 juin 1998 a confirmé d’une certaine manière cette conception du mandat.

En effet, l’art. 706-50 CPP permet désormais au procureur de la République de désigner lui-même un administrateur ad hoc, c’est-à-dire dès la phase de l’enquête préliminaire. Il va de soi qu’à ce stade de la procédure, sa mission ne peut être juridique.

Par ailleurs, si l’on se réfère aux travaux préparatoires de la loi du 17 juin 1998 et à l’art. 706-53 CPP, il est demandé à l’administrateur ad hoc, par « sa présence », d’assurer le soutien moral et psychologique de l’enfant. Certains parquets le visent expressément dans l’acte de désignation. Cette présence est également prévue dans le cadre de l’instruction, tant pour les auditions que pour les confrontations.

 

Est-ce en raison de ma pratique que dans le département de l’Isère, les magistrats ne désignent pas d’éducateurs accompagnateurs bien que cela ait été préconisé par le substitut général, Monsieur Bernard Azéma lors de la rentrée solennelle de la Cour d’appel de Grenoble en janvier 1999.

En effet, il a exhorté les magistrats du parquet à tout mettre en œuvre « pour garantir le meilleur confort physique et psychique » du mineur victime de mauvais traitements ou/et d’abus sexuels. A cette fin, ils devront dès le début de la procédure, « veiller à ce que trois fonctions essentielles soient assurées » :

-         sa représentation en lui désignant un administrateur ad hoc s’il s’avère que ses intérêts ne sont pas ou sont mal assurés par ses représentants légaux,

-         son assistance par un avocat

-         et son accompagnement par un tiers éducateur qui sera aux côtés de la victime pendant tous les actes de la procédure ».

 

S’il en avait été autrement, se seraient posé les questions de savoir :

-         s’il y avait encore pour moi, en tant qu’administrateur ad hoc, une place aux côtés de l’enfant

-         et de l’articulation du mandat de représentation exercé par l’administrateur ad hoc et celui de l’accompagnement par un tiers éducateur.

 

Je terminerais mon propos en donnant mon avis sur l’art. 706-53 CPP qui a été institué par la loi du 17 juin 1998 et qui peut poser des difficultés en pratique.

 

Cette disposition mérite quelques commentaires critiques.

Tout d’abord, son application est limitée :

·        aux infractions mentionnées à l’art. 706-47 CPP, c’est-à-dire :

-         au meurtre ou assassinat de mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou actes de barbarie. Infraction inapplicable en l’espèce de par le décès de la victime

-         viol commis par violence, contrainte, menace ou surprise (art. 222-23 CP)

-         exhibition sexuelle (art. 222-32 CP)

-         le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur ou le fait d’organiser des réunions comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe (art. 227-22 CP)

-         les atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de plus de 15 ans et non émancipé par le mariage commises par un ascendant ou par personne ayant autorité (art. 227-27 CP).

Les atteintes sexuelles commises sur mineur de 15 ans ainsi que la maltraitance physique sont exclues du champ d’application de l’art. 706-53 CPP. En d’autres termes, la présence d’un tiers aux auditions, confrontations n’est pas un droit pour ces enfants victimes.

 

·        aux 2 premières phases du processus pénal : enquête préliminaire et instruction, non à la phase de jugement.

 

Ensuite, ce tiers peut être  :

-         soit un psychologue ou médecin spécialistes de l’enfance

-         soit un membre de la famille du mineur

-         soit un administrateur ad hoc désigné par le procureur de la République ou le juge d’instruction

-         soit une personne chargée d’un mandat du juge des enfants

Un seul d’entre eux peut être présent. Il n’y a pas prééminence de l’un par rapport à l’autre. Il revient donc au procureur de la République ou au juge d’instruction de choisir l’accompagnateur de l’enfant parmi cette liste.

Il s’ensuit que l’administrateur ad hoc qui est partie à la procédure, qui devra faire des choix au nom de l’enfant et conformément à son intérêt peut se trouver évincé de ces moments forts de la procédure pénale.

 

De plus, le texte ne précise pas la nature du mandat confié par le juge des enfants. Ainsi, dans le cadre de son mandat, l’administrateur ad hoc peut avoir affaire à deux sortes d’éducateur, l’un chargé d’une mesure de protection, l’autre chargé d’une mission d’accompagnement.

 

 

**********

 

Le législateur en 1998 voulait que l’enfant victime ne soit pas seul dès le signalement :

-         en donnant pouvoir au procureur de la République de désigner lui-même un administrateur ad hoc dès la phase de l’enquête préliminaire

-         en faisant en sorte que des personnes compétentes soient à ses côtés au cours de l’enquête préliminaire ou de l’information, aux auditions et confrontation.

Or, on peut constater que dans nombre de juridictions, aucune de ces dispositions ne sont appliquées. Il s’ensuit que les enfants victimes ne font l’objet, ni d’une représentation, ni d’un accompagnement.

 

Nous touchons là aux limites humaines. Les textes sont là, c’est leur application qui fait défaut.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quant à l’expression de son opinion, ce ne peut être en principe celle de l’enfant car ce serait lui reconnaître une capacité juridique qu’il n’a pas. En effet, il convient de rappeler que le recours au mécanisme de représentation est un moyen juridique pour permettre au mineur d’exercer les droits dont il est titulaire. Son représentant – qu’il soit légal ou judiciaire – est investi du pouvoir d’initiative et de direction. Avec ce mode d’action qui confère le pouvoir décisionnel au représentant, la volonté de l’enfant se trouve de ce fait complètement occultée. Il s’agit d’une substitution de volonté. En d’autres termes, l’administrateur ad hoc agit au nom et pour le compte du mineur avec cette particularité que ce dernier n’émet pas lui-même son propre choix ou la volonté qui forme l’acte juridique. Toutefois, il convient de préciser qu’en dernier ressort, c’est l’autorité judiciaire qui décide.

 

Cela dit, la représentation, moyen juridique pour pallier l’incapacité d’exercice et conçue dans l’intérêt de l’incapable, ne doit pas se révéler violente dans sa mise en œuvre, si l’on veut éviter une « victimation secondaire ». Aussi, il convient de ne pas l’exclure de toutes les décisions importantes qui le concernent dans la mesure où c’est lui qui supportera les conséquences de la décision judiciaire (par exemple, le retrait de l’autorité parentale).

 

J’insiste sur le fait qu’il est important de ne pas lui faire porter le poids d’une décision prise en commun. Par exemple, je demande à l’avocat de dire à l’audience pénale, que c’est l’administrateur ad hoc qui demande des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

 

Et en cas de divergence entre la parole exprimée par l’enfant et la position arrêtée par son représentant, il est important que l’administrateur ad hoc demande à l’avocat d’exprimer ces deux positions à l’audience.