Les dossiers de Chrysallis

Une certaine éthique de la représentation « ad hoc »

de l’enfant victime

 

 

Ø                 Je remercie vivement Enfance et Partage de me donner l’occasion de parler d’un sujet qui me tient particulièrement à cœur : l’exercice des droits des enfants victimes par un administrateur ad hoc.

 

L’administrateur ad hoc est une personne – physique ou morale -, désignée par un magistrat, qui se substitue aux parents pour exercer les droits de leur enfant mineur non émancipé, en son nom et à sa place et dans la limite de la mission qui lui est confiée.

 

Je connais bien ce personnage qui est encore méconnu aujourd’hui, par nombre de professionnels alors que son intervention auprès des enfants victimes datent de juillet 1989, soit il y a plus de 18 ans.

En effet, non seulement j’exerce des mandats judiciaires en qualité d’administrateur ad hoc depuis son entrée dans le Code de procédure pénale, mais j’en ai fait l’objet de mon sujet de thèse.

 

Cela étant, affirmer que l’enfant a des droits n’est pas suffisant si on ne lui permet pas de les exercer effectivement, en particulier dans les procédures familiales qui l’intéressent.

De manière générale, toute personne peut saisir la justice pour revendiquer un droit ou demander réparation du préjudice subi. Mais pour l’enfant victime, considéré comme incapable en droit français, un régime particulier de protection lui est imposé en raison de son immaturité physique et intellectuelle. Ainsi, jusqu’à sa majorité, s’il n’est pas émancipé, une personne majeure doit le représenter pour agir en son nom.

 

Les père et mère étant les protecteurs naturels de leur enfant, ce rôle leur est dévolu en priorité. Et lorsque l’enfant est victime de maltraitance physique et/ou sexuelle de la part de ceux qui doivent le protéger ou lorsque de manière générale, il y a conflit d’intérêt entre l’enfant et ses parents, le législateur a prévu le recours à un tiers, qu’est l’administrateur ad hoc.

 

Mais au regard de cette technique juridique, deux considérations sont prises en compte: la nature particulière de ces êtres humains et l’autorité parentale.

 

Le premier point renvoie à la définition de l’enfant, question qui est au centre des débats sur l’exercice des droits de l’enfant. Il apparaît indubitable que la représentation que se fait l’adulte de l’enfant en tant que personne humaine influe largement sur la manière dont le droit le considère et sur la place que chacun est prêt à lui accorder sur la scène judiciaire.

 

La seconde interférence est l’autorité parentale qui, à juste titre, fait l’objet de sollicitudes, tant du législateur que des praticiens.

 

Ainsi, le concept d’enfance et l’autorité parentale se trouvent au centre de toutes les décisions :

-            du législateur lorsqu’il légifère sur l’administration « ad hoc »

-            du magistrat lorsque se pose pour lui l’opportunité de désigner un administrateur ad hoc à l’enfant

-            et également de l’administrateur ad hoc lui-même pour déterminer les modalités pratiques de sa mission.

 

Je vais donc développer ces trois aspects.

 

 

  1. La législation en matière pénale

 

L’enjeu pour le législateur est de permettre à l’enfant victime de pouvoir exercer ses droits sans attenter de manière abusive aux prérogatives parentales.

 

Dans un premier temps, le législateur en 1989 n’a visé que la maltraitance intrafamiliale, c’est-à-dire celle commise par les parents eux-mêmes sur leurs propres enfants. Plus précisément, l’auteur des violences – physiques et/ou sexuelles -, devait exercer l’autorité parentale pour pouvoir donner lieu à une substitution de représentant.

Il va de soi que lors d’un procès, une même personne ne peut à la fois répondre de ses actes et défendre les intérêts de sa victime, en l’espèce, son propre enfant.

 

Le législateur estimait que dès lors que les parents n’étaient pas impliqués dans la procédure, ils auraient à cœur de représenter leur enfant en justice et de défendre ses intérêts. Cette fonction leur revient de droit et ils n’ont nullement besoin de demander une quelconque autorisation, le Code civil les ayant institué représentants légaux de leur enfant.

 

Or, le législateur n’avait pas envisagé les situations de défaillance parentale, celles où les parents non auteurs, s’abstiennent d’agir au nom de leur enfant. Force est de constater qu’elles sont nombreuses.

 

Dans la plupart des situations, les raisons sont les suivantes :

 

w        Soit que l’auteur présumé est un membre de la famille (grand-père, oncle, frère, beau-père…).

 

w        Soit qu’un seul parent est poursuivi mais l’autre parent, apte juridiquement à exercer les droits de son enfant, au mieux s’abstient ; au pire prend fait et cause pour son conjoint, sacrifiant par la-même les intérêts de son enfant, par dépendance affective ou économique.

 

Aussi, le législateur en juin 1998 a profondément modifié les conditions de désignation de l’administrateur ad hoc en matière pénale.

 

Tout d’abord, il a supprimé toute référence à la qualité de l’auteur de l’infraction. En contrepartie, il a posé comme condition que la protection des intérêts de l’enfant ne soit pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l’un d’entre eux.

 

Il ressort de l’exposé des motifs de cette loi du 17 juin 1998 que l’objectif poursuivi par le législateur était de rendre obligatoire et non plus facultative la désignation de l’administrateur ad hoc en matière pénale dès lors lorsqu’aucun parent n’est en mesure d’exercer les droits de son enfant ou en cas d’inaction des parents.

 

Or, force est de constater que nombre d’enfants victimes apparaissent toujours aujourd’hui en tant que simples témoins lors du procès pénal, par défaut de représentation.

 

Par ailleurs, par l’introduction de cette nouvelle exigence, les juges pénaux ont retrouvé leur pouvoir d’appréciation. En effet, aux termes de l’article 706-50 du Code de procédure pénale, ils devront préalablement constater que les intérêts du mineur ne sont pas complètement protégés par ses représentants légaux ou par l’un d’entre eux. La difficulté majeure d’application de ce critère décisionnel réside dans la présence de l’adverbe « complètement ». Quel contour lui donner ?

 

Certains juristes pensent que le critère de décision repose sur l’opportunité pour l’enfant victime de se constituer partie civile[1]. Aussi, lorsque l’action civile est déjà engagée au nom de l’enfant par son représentant légal, il n’y a pas lieu à lui désigner un administrateur ad hoc, le texte pénal étant « conçu pour pallier les carences parentales et non pour interdire ou bloquer leurs initiatives »[2].

 

 

 

 

En ajoutant l’adverbe « complètement », le législateur a probablement voulu mettre un terme à une certaine pratique. En d’autres termes, le texte ne semble plus permettre la désignation d’un administrateur ad hoc lorsqu’un parent au moins s’est constitué partie civile au nom de son enfant. Par contre, elle doit être obligatoire en cas contraire. Ne risquant plus d’être exclu de la scène judiciaire, il s’ensuit un meilleur respect des droits du parent non impliqué. Mais cela peut, à l’occasion, se révéler contraire aux intérêts du mineur car il ne faut pas perdre de vue le contexte de désignation : la maltraitance dans le cadre familial.

 

Parfois, dans certaines situations certes rares, les parents se constituent partie civile dans leur intérêt propre et non dans celui de leur enfant. La complicité active ou passive, l’ambivalence du deuxième parent non poursuivi sont des faits réels et fréquents dans ce type d’affaire. Le risque est de voir fleurir des constitutions de partie civile systématiques afin de faire obstacle à l’application du texte pénal, ce qui, en l’occurrence, irait à l’encontre du but poursuivi, la protection des intérêts du mineur.

 

La pratique révèle que cet adverbe, loin d’ôter toute initiative au juge, lui laisse au contraire un large pouvoir d’appréciation, sans avoir à recourir au texte civil. C’est ainsi qu’on peut lire dans une ordonnance de désignation rendue par un magistrat instructeur « que même si » la mère s’est constituée partie civile, sa fille « ne bénéficie toujours pas de l’assistance d’un avocat » ; qu’il ressort « de l’expertise médico-psychologique que cette dernière souffre de l’ambivalence de sa famille par rapport aux faits dénoncés et à l’auteur » et éprouve « le sentiment de ne pas être suffisamment soutenue » ; qu’enfin, l’évolution de sa personnalité sera affectée (…) si la position familiale ne se clarifie pas quant à l’attitude familiale face au mis en examen ». En ce cas d’espèce, la seule constitution de partie civile semble insuffisante pour empêcher toute désignation d’administrateur ad hoc, encore faut-il qu’elle soit suivie d’une constitution d’avocat. Or, n’y a-t-il pas là abus de pouvoir dans la mesure où, seul l’administrateur ad hoc y est tenu par le texte qui fonde sa désignation ?

 

Ainsi, la seule référence à la protection « non complète » des intérêts du mineur victime ne semble pas a priori restreindre le pouvoir d’appréciation des magistrats en la matière.

 

Ensuite, le décret du 16 septembre 1999 a donné expressément aux représentants légaux, la possibilité de contester la désignation de l’administrateur ad hoc, par la voie de l’appel, durant un délai de 10 jours. Celui-ci n’étant pas suspensif, il s’ensuit qu’une fois désigné, l’administrateur ad hoc a qualité pour agir au nom et dans l’intérêt de l’enfant qu’il représente et ce, tant que la chambre d’instruction ou la chambre des appels correctionnels n’a pas réformé l’acte de désignation.

 

En conclusion de cette première partie, il revient prioritairement aux parents de représenter leur enfant et ce n’est donc que de manière exceptionnelle qu’on lui substituera un tiers. Etant une atteinte, certes partielle et limitée aux droits parentaux, il faut obligatoirement qu’un texte permette cette substitution. Mais la désignation de l’administrateur ad hoc n’est pas systématique. Le magistrat doit évaluer chaque cas d’espèce avant toute prise de décision.

 

 

B. Le magistrat désignant l’administrateur ad hoc

 

Le mandat confié à l’administrateur ad hoc est de nature judiciaire. Un magistrat doit donc nécessairement lui donner pouvoir de représenter un mineur non émancipé à l’occasion d’un acte ou d’une procédure.

 

Plusieurs magistrats se succèdent au cours de la procédure pénale. Il ressort du libellé de l’article 706-50 du Code de procédure pénale que le législateur a donné pouvoir concurrent au procureur de la République, au juge d’instruction et à la juridiction de jugement pour désigner l’administrateur ad hoc. En effet, la conjonction de coordination « ou » qui sépare les deux premiers magistrats marque à la fois l’idée d’alternative et d’équivalence. Cela signifie que la désignation peut être effectuée par l’un ou l’autre indifféremment et qu’ils sont sur un pied d’égalité en ce domaine. Aucun n’a prééminence sur l’autre. Quant à la juridiction de jugement, elle dispose du même pouvoir discrétionnaire.

 

Le même critère décisionnel s’applique à chacun d’eux. La différence réside dans son évaluation. Chaque magistrat se forgera sa propre opinion. Dès lors, la juridiction de jugement peut estimer qu’il y a lieu ou non à désignation d’un administrateur ad hoc quand bien même les magistrats qui l’ont précédé n’ont pas jugé utile de le faire. Par ailleurs, la cour d’appel peut ne pas suivre le magistrat instructeur ou le tribunal correctionnel sur ce point et annuler l’ordonnance ou le jugement désignant l’administrateur ad hoc, estimant quant à elle, que les intérêts de la victime mineure sont complètement protégés par ses représentants légaux. Cela étant, le juge d’instruction et la juridiction de jugement ne sont pas liés par la position de la chambre de l’instruction ou de la chambre des appels correctionnels. Ils conservent la faculté de désigner à nouveau, en tant que de besoin, un administrateur ad hoc chargé de représenter la victime[3].

Concernant la pratique judiciaire, au lendemain de la loi du 10 juillet 1989, nombre de juges d’instruction ont eu à cœur d’assurer la représentation judiciaire de tous les enfants victimes.

 

Tout d’abord, par une interprétation très extensive d’une disposition du Code civil (article 389-3), ils demandaient à un juge du tribunal d’instance – le juge des tutelles – de désigner l’administrateur ad hoc.

 

Ensuite, après la loi du 8 janvier 1993, ils désignaient eux-mêmes ce représentant judiciaire sur le fondement des articles 388-2 et 389-3 du Code civil, en tant que juges saisis de l’instance.

 

Depuis la loi du 17 juin 1998 et du décret du 16 septembre 1999, les juges pénaux ont obligation :

 

ü      de motiver leurs décisions désignant un administrateur ad hoc, à savoir expliciter en quoi les intérêts de l’enfant ne sont pas complètement protégés par ses représentants légaux ou par l’un d’entre eux.

 

ü      de notifier aux représentants légaux leurs décisions.

 

Cette exigence et ce droit répondent à la nécessité de ne pas intenter de manière abusive aux prérogatives parentales. Or, en pratique, la majorité des désignations d’administrateur ad hoc ne sont pas motivées et certaines d’entre elles ne sont pas notifiées aux parents.

 

J’ai pu remarquer qu’au nom de l’ignorance, nombre de parents :

 

Ø      ne se sont pas constitués partie civile au nom de leur enfant.

Ø      n’ont pas fait appel de la désignation d’administrateur ad hoc.

 

Afin d’éviter des désignations abusives et permettre aux parents d’exercer un droit qui leur est donné, il serait souhaitable de modifier la pratique judiciaire, à savoir, faire en sorte que :

 

Ø      dès la plainte de la victime ou le signalement fait par un tiers, les parents soient informés très précisément de leurs obligations ;

 

Ø      qu’avant toute désignation d’administrateur ad hoc, les magistrats aient pris soin de les rencontrer :

 

ü      pour les leur rappeler ;

ü      pour demander leur position ;

ü      pour les informer qu’en cas d’inaction de leur part, ils seront dans l’obligation de désigner un administrateur ad hoc à leur enfant en leur expliquant la mission qui sera dévolue à ce représentant ;

ü      en leur laissant éventuellement un délai de réflexion.

 

Le choix de ce représentant est essentiel pour l’enfant victime.

 

 

C. L’administrateur ad hoc

 

Le Code de procédure pénale a donné un large pouvoir discrétionnaire aux juges pénaux de choisir l’administrateur ad hoc :

Ø      soit parmi les proches de l’enfant

Ø      soit sur une liste de personnalités qui ont fait l’objet d’une habilitation judiciaire

Cette altérité entre proche de l’enfant et un tiers est-elle judicieuse compte tenu de la nature de la procédure ?

 

Cinq conditions sont exigées pour être administrateur ad hoc, que ce soit pour exercer à titre personnel ou au sein d’une personne morale :

Ø      âge : 30 à 70 ans

Ø      s’être signalé depuis un temps suffisant par l’intérêt porté aux questions de l’enfance et par sa compétence. Aucune exigence de formation.

Ø      résider dans le ressort de la cour d’appel

Ø      non condamnation pénale, non sanction disciplinaire ou administrative pour agissements contraires à l’honneur, probité et bonnes mœurs

Ø      non frappé de faillite personnelle

 

Aucune incompatibilité n’a été prévue par les textes. Or, l’administrateur ad hoc, représentant les intérêts d’une partie, doit bénéficier d’une indépendance indiscutable par rapport à toutes les parties en présence. Elle ne doit pas se limiter aux seuls services ayant en charge le suivi éducatif de l’enfant, mais également s’étendre au pouvoir judiciaire et aux membres de la famille :

 

Ø      Les services sociaux dont la fonction est l’éducation, l’organisation de la vie du mineur, ce qui est d’une autre nature que la représentation en justice du mineur et la défense en toute indépendance de ses intérêts. Les intérêts familiaux (droit de visite, maintien des liens familiaux, suivi éducatif, responsabilité du placement) ne recouvrent pas obligatoirement les intérêts du mineur au pénal.

 

Ø      Le pouvoir judiciaire qui exerce les prérogatives inhérentes à sa fonction (désignation de l’administrateur ad hoc, instruction, réquisitions, jugement) ne doit pas s’immiscer dans ce qui constitue la représentation et la défense concrètes des intérêts du mineur.

 

Ø      Les membres et l’entourage immédiat de la famille risquant d’être influencés par le climat particulier relatif notamment aux affaires pénales (inceste, agressions sexuelles, violences) ou même en matière civile par des intérêts discordants et un climat conflictuel.

 

De plus, la pratique révèle des conflits d’interprétation, de personne, sur le fondement, l’opportunité et le choix de personne désignée en qualité d’administrateur ad hoc. Il serait donc opportun que ces représentants spéciaux soient agréés au niveau national et non plus au niveau local comme les Assesseurs du tribunal pour enfants.

 

Le choix de cet administrateur ad hoc a un impact sur la manière dont est exercé le mandat et explique certaines dérives constatées.

 

L’administrateur ad hoc exerce un mandat judiciaire. Mais les textes ne disent pas comment l’administrateur ad hoc doit exercer sa mission.

Aborder le thème de sa mission, c’est à la fois :

Ø      lui donner un champ d’intervention

Ø      poser des limites

C’est poser les questions :

Ø      que doit-il faire ?

Ø      jusqu’où peut-il aller ?

 

De manière générale, le représentant du mineur non émancipé– qu’il soit légal ou judiciaire-, est investi du pouvoir d’initiative et de direction. Avec ce mode d’action qui confère le pouvoir décisionnel au représentant, la volonté de l’enfant se trouve de ce fait complètement occultée.

Action en remplacement d’autrui, la représentation suppose l’accomplissement d’un acte juridique ou d’une action par une personne qui n’intervient pas en son nom propre mais au nom d’autrui, qui n’agit pas pour son compte mais pour le compte d’autrui. Cette définition met l’accent sur le rôle essentiel du représentant qui agit par substitution, qui, par la volonté exprimée, va engager la personne qu’il remplace. Les effets de l’acte ne sont pas supportés par celui qui agit, le représentant, mais par celui au nom duquel il agit, le représenté.

 

Dans ce contexte, l’administrateur ad hoc agit au nom et pour le compte du mineur avec cette particularité que ce dernier n’émet pas lui-même son propre choix ou la volonté qui forme l’acte juridique.

 

Cela dit, la représentation, moyen juridique pour pallier l’incapacité d’exercice et conçue dans l’intérêt de l’incapable, ne doit pas se révéler violente dans sa mise en œuvre.

 

Aussi, suis-je favorable à une conception plus large mais aussi plus humaniste du mandat qui consiste à respecter l’enfant. Dans les faits, cela consiste à entrer en communication avec lui, l’écouter et lui restituer les enjeux des décisions prises pour lui. Cette conception exclut toute généralisation, toute règle préétablie. Cela suppose une étude très précise et complète de la situation avant toute prise de décision.

Et en cas de divergence entre la parole exprimée par l’enfant et la position arrêtée par son représentant, il est important que l’administrateur ad hoc demande à l’avocat d’exprimer ces deux positions à l’audience.

 

Outre cette mission juridique, il est apparu évident pour nombre de personnes, qu’il fallait lui en enjoindre une autre, celle d’accompagnement. En effet, de par la qualité de la victime et la nature de la procédure, l’aspect humain est primordial et indissociable de l’aspect juridique.

 

Tous les professionnels confrontés aux problèmes de maltraitance intrafamiliale insistent sur la fragilité et la solitude de ces enfants, les pressions et manipulations qu’ils subissent, leur besoin d’être écouté, accompagné et protégé. Ils souffrent fréquemment de troubles psychologiques ou psychiques qui se manifestent de diverses manières : tentatives de suicide, fugues, agressivité, instabilité, troubles du sommeil, mutisme, échec scolaire, actes de délinquance…

 

Aussi, il est impératif qu’une fois désigné, l’administrateur ad hoc établisse une relation de confiance avec l’enfant, l’informe qu’il est là pour lui, dans son intérêt, pour l’accompagner tout au long de la procédure.

Cela exige de la part de l’administrateur ad hoc, cohérence et transparence, c’est-à-dire qu’il mette en accord ses paroles et ses actes, qu’il explique ses décisions. Cela suppose une bonne intégrité personnelle : savoir dire non, expliquer pourquoi, ne pas accepter les dérives, les amalgames, les solutions contraires à l’intérêt de l’enfant.

Cela exige aussi de la part des magistrats qu’ils acceptent que l’administrateur ad hoc puisse jouer ce rôle important d’aide et de soutien auprès de l’enfant, tout au long

 

Les grandes lignes de la charte arrêtée par la Fédération Nationale des administrateurs ad hoc (FENAAH) est la suivante :

Ø      Conception du mandat :

§         Juridique

§         Soutien et accompagnement de l’enfant

Le législateur en 1998 voulait que l’enfant victime ne soit pas seul dès le signalement :

 

ü      en donnant pouvoir au procureur de la République de désigner lui-même un administrateur ad hoc dès l’enquête préliminaire, première phase du processus pénal ;

 

ü       en faisant en sorte que des personnes compétentes soient à ses côtés au cours des auditions et confrontations.

 

Or, on peut constater que dans nombre de juridictions, aucune de ces dispositions ne sont appliquées. Il s’ensuit que les enfants victimes ne font l’objet, ni d’une représentation, ni d’un accompagnement.

 

Nous touchons là aux limites humaines. Les textes sont là mais c’est leur application qui est en cause. Je dirais même que les cabinets d’instruction sont fermés aux administrateurs ad hoc depuis qu’un texte légal a légalisé la possibilité d’autoriser la présence d’un tiers aux côtés du mineur victime.

 

 

Conclusion

 

Une règle doit être claire, ne pas se contredire ou entrer en conflit avec une autre disposition. Voilà ce que l’on attend d’une loi. Cela suppose que le législateur prenne en compte les lois existantes au fur et à mesure qu’il légifère dans un domaine. Mais cela est insuffisant. Il doit également chaque fois qu’il crée un nouveau mécanisme, l’encadrer. Sans ces règles élémentaires, il revient au magistrat de résoudre les difficultés que le dispositif législatif suscite s’il ne veut pas être poursuivi pour déni de justice[4]

 

Les différents législateurs qui se sont succédé dans l’élaboration du cadre légal de l’administration ad hoc, ont contribué à rendre le système confus et à conférer par voie de conséquence un pouvoir important aux magistrats.

 

Ainsi, le juge dont la fonction naturelle est celle d’appliquer le droit devra en la matière, sans cesse l’interpréter, voire faire œuvre créative. La première est la conséquence de l’œuvre législative ; la seconde est due aux zones de non-droit.

 

S’il est vrai que le dispositif législatif connaît une certaine inflation en ce sens qu’il est sans cesse complété sans que les textes existants soient modifiés ou complétés, il laisse malgré tout subsister des zones d’ombre. Or, Mû par le souci de permettre au mineur l’exercice effectif de ses droits en toute situation, le législateur a fait preuve en ce domaine d’une créativité féconde mais de manière anarchique. Il a créé, complété pour pallier des carences sans rien supprimer. Il s’ensuit que les différentes modifications législatives ont rendu le système incohérent qui manque d’unité, de cohésion et de logique.

 

Par ailleurs, la législation est devenue tellement complexe que son application est synonyme de confusion et qu’elle favorise les abus. Cette confusion est non seulement le résultat de l’évolution législative mais également de la jurisprudence. En effet, la coexistence de textes généraux et spéciaux pose quelques problèmes d’articulation entre eux. Et l’interprétation qui en est faite peut être source d’abus qui s’exercent :

ü      soit à l’encontre du mineur,

ü      soit à l’encontre de son représentant légal,

ü      soit à l’encontre de son administrateur ad hoc.

 

Il va de soi que tout magistrat a obligation de respecter les textes en vigueur. Il ne lui appartient nullement de les interpréter selon sa convenance. Cela dit, la loi ne peut tout codifier.

 



[1] C. Neirinck, JCP 91, 3496, n° 19

[2] Ordonnance juge d’instruction, TGI Nantes, 16 octobre 1990, note C. Neirinck, JCP 92, 21826, p. 111.

[3] Cassation, ch. Crim. 4 décembre 96.

[4] Art.4 C.civ.